mardi, juillet 14, 2009

Musique à usage personnel : Dying in the Vine par John Cale

Si on lui avait dit qu’il se retrouverait un jour à exercer ce genre d’activités, il ne l’aurait sans doute pas cru même s’il faut croire qu’il présentait depuis son plus jeune âge certaines dispositions : se méfier de son ombre par exemple, parler à haute voix dans un salon vide mais surtout voir au loin dans la rue la silhouette de gens qui n’étaient plus de ce monde depuis longtemps.

« I ‘ve been chasing ghosts but I don’t like it » dit la chanson, rien ne pouvait être plus vrai mais encore fallait il le vivre pour le comprendre dans sa chair, chair faite verbe, verbe plein d’absences, toutes plus omniprésentes les unes que les autres.

En somme, rien à voir avec des paroles de fiction quand bien même il s’agissait d’un texte écrit par le très respectable John Cale, la fiction new- yorkaise laisse place à une réalité bien trop proche pour qu’on puisse oser l’ignorer. Car c’est bien de cela dont il s’agit, le retour inopiné de ceux que l’on ne s’attendait plus à voir.

Certaines femmes pour commencer, des énigmes à profusion qui, jadis, avaient, semble t’il, donné un sens à sa vie alors qu’en fait il ne s’agissait que de parenthèses entre la vie qu’il s’accordait et la vie qu’il voulait vraiment mener, des avenues bordées d’arbres élancés dont on n’avait jamais fini de tracer le contour. Des points de suspension à la volée, des os donnés à ronger à une âme qui ne le savait même pas.

Mais d’autres aussi, presque des inconnus en fait, des gens qui n’avaient pas eu le temps de jouer de façon appropriée leur rôle dans sa vie à lui, des hommes et des femmes à qui il avait aujourd’hui tout le loisir d’expliquer les non dits, les si nombreux actes manqués. Des inconnus qu’il n’avait pas su, lui, sauver de l’absurde et du quotidien, des gens à qui il parlait aujourd’hui de sa fabuleuse farandole inassouvie, des mariages à boire, des mariées à séduire, des moments de recueillement qui ne menaient à rien.

Et puis surtout eux, encore et toujours eux. Les Fantômes.

Musique à usage personnel : Orpheus par David Sylvian

Le type rappelle. Il ne se donne même pas la peine de répondre. Hier, il a vendu dans une friperie du centre ville une très belle chemise d’un grand couturier qu’on lui avait offert pour un quelconque anniversaire. Il a réussi à en tirer un prix correct et avec l’argent il s’est empressé d’aller acheter des disques. Cela ne remplace pas tout, évidemment, mais la plupart du temps … avec un peu d’accoutumance, à l’aide de gestes qui se répètent sans cesse, de choix et impositions, d’acceptations forcées, il arrive à se persuader que tout s’arrête aux portes de son salon, que rien ne sort, que rien ne rentre et que la musique et lui se suffisent à eux-mêmes.

C’est à n’y rien comprendre mais il n’y a rien à comprendre. C’est ainsi. Il existe des lieux et certains moments que je qualifierai de privilégiés où le cours de l’existence n’a plus lieu d’être. La plupart du temps, il suffit de fixer un point du mur avec suffisamment d’intensité, de ne plus le lâcher du regard pendant de longues minutes et de laisser faire la musique, de laisser les portées de notes prendre place dans les trachées, de laisser la mélodie dicter sa règle aux battements du cœur et puis surtout de s’approprier le chant et d’en faire son propre discours. Il en est ainsi.

C’est ainsi qu’il s’absorbe dans ce qui lui est sans doute le plus précieux : l’immatériel, l’impalpable. De là, il n’en ressort jamais la même chose quand bien même le rituel est immuable. Les pensées se bousculent dans sa tête mais n’ont plus le droit de citer. Les sentiments prennent rapidement le dessus. Peu à peu, ils emplissent toute la pièce, il n’y a plus là aucun interstice pour quoique ce soit d’autre. S’il en vient à fermer les yeux, les visages deviennent des couleurs, les sons des prénoms oubliés, un refrain à peine esquissé une confession trop vite exaucée … La vie toute entière perd sa forme première et il retrouve enfin en lui l’étincelle première, un vœu dissimulé aux yeux de tous, une volonté qui ferait de lui le maître de son monde ; l’étincelle qui dictera la marche à suivre les jours suivants.

Le disque s’arrête. Il se lève comme un somnambule, tourne le vinyle et met la face B juste avant que le téléphone ne se remette à sonner.

dimanche, juillet 12, 2009

Vu de l’intérieur 3

Vu de l’intérieur 3

La discussion qu’il aimerait bien esquiver. La voilà qui revient. Celle qui se rappelle fort obligeamment à son « bon souvenir ». Les jours, par exemple où il quitte précipitamment son appartement. Il n’a pourtant baissé la garde qu’une seconde durant mais là revoilà, menaçante et aussi effrontée que la vérité toute nue. Ça commence dès le réveil et il n’y a qu’une solution : la fuite. Le refuge.

Se cacher du souvenir de la conversation menée avec cette jeune fille qui l’a raccompagné hier au soir. Fuir. Vite, vite.

Là. Au soleil. Silence presque absolu. Il n’entend que le murmure de la rivière et encore en tendant l’oreille. Abruti de soleil pour arriver enfin à ne penser strictement à rien. L’endroit est isolé et à vrai dire, il n’y a jamais croisé personne. S’il vient là c’est par protection, la force de l’habitude étant comme un abri face aux assauts répétés de sa propre voix, dans la tête, une voix qui se surprend à poser les bonnes questions et qui si on la laisse faire finit presque toujours par démêler l’écheveau rigoureux du mensonge qu’il a mis si longtemps à ériger.

La faire taire, c’est se taire soi même, dodeliner de la tête et attendre que tout s’achève par un mouvement inopiné, sa main qui remet en place une mèche de cheveux et le voilà qui se relève avec l’assurance que la fille d’hier soir a du enfin quitter son appartement à cette heure ci.

Exposition vers l’intérieur

Exposition vers l’intérieur

Ce qui le gênait finalement le plus dans tous les livres de poésie qui lui étaient récemment tombés sous la main, c’était la drôle de résonance qu’acquéraient bien trop souvent ces ouvrages dans la vie de tous les jours. En effet, a-t-on vraiment besoin que ce soit une voix extérieure, celle d’un poète en l’occurrence, qui vienne vous dicter le cours des sentiments à suivre ? Sans aucun doute, il était gêné, bien plus qu’il ne pourrait jamais l’admettre en public mais les faits étaient là.

Que ce soit un livre oublié par une conquête maladroite d’un soir, que ce soit un recueil acheté par une inconnue suivie jusque dans une librairie ; toutes ces occasions se répétaient pour ponctuer poétiquement la vie d’un être en demeure. Face à ces débordements malvenus, il décida qu’il ne lui restait pas d’autre issue que de s’épancher vers l’intérieur, de répandre ses sentiments sur lui-même, de devenir un flamboyant poème crypté, vers l’intérieur.

Personne ne devait rien savoir et personne n’en sut jamais rien.

Et pourtant, l’écho de ses lectures le changea bel et bien faisant de lui un être encore plus abstrait que d’ordinaire.

La poésie qui coulait de source, ne nommant rien frontalement, assemblant l’hétéroclite en monument de beauté. Dans sa tête, les méandres se multiplièrent jusqu’à ce qu’un sens ne finisse par surgir de sa peur à ressentir et surtout de sa peur à s’ouvrir. Les mots lui ouvraient ainsi des portes insoupçonnées mais l’enfermant de plus en plus dans une conduite qui ne menait décidément de plus en plus vers un nulle part où le partage était impossible. Sa vie ne se limitait plus, elle se délimitait dans les rimes libres et dans les suspens lancés dans l’air.

Du sentiment à en revendre, à l’extraire un millier d’années durant mais surtout pas une seule faille dans la façade de l’imposant Rideau de Fer.

Enfin 3

Enfin 3

Enfin à l’abri, là où le souffle du vent est si faible qu’il ne dérange même pas l’ordre de la poussière. A l’abri du trop plein d’émotions permanentes, une inconnue qui fond en larmes dans le bus à côté de lui sans qu’il ne sache pourquoi, le regard fiévreux d’un étranger qui n’ose pas demander qu’on lui explique ce qu’il ne sait pas encore. La profonde et totale humiliation d’une société qui n’a plus de rêves.

En bien des occasions, on se souvient comment naviguer à vue et éviter les pires écueils que l’on puisse imaginer, l’abondance de biens, l’affreuse responsabilité des êtres aimés et ainsi de suite. En fin de compte, on se retrouve seul, comme un Titanic qui serait resté à quai, à vie.

Tant de soirs encore à se glisser presque furtivement dans des chambres inconnues. Tant de marches à gravir sans laisser l’ombre d’une chance à ce qu’une émotion ne nous rattrape. Pas de colères noires face à l’échec prévisible, pas de peurs bleues lorsque l’on nous menaçait d’un couteau.

Nous ne sommes que de passage et la traînée qu’aurait du laisser derrière nous le sillage de notre embarcation restait obstinément muette.

Par exemple…

Il se souvient peut être de Bline mais il est trop tard pour vaciller. Enfin est un soupir qui l’absout de tous remords et qui lui permet de continuer coûte que coûte à s’écraser contre le sol sans que la douleur ne soit au rendez vous.

Beau temps pour se promener, sans doute. Il marche le long des quais et il observe les gens qui profitent d’un rayon de soleil pour jouer à être heureux. Pour lui ce soleil de mars est des plus trompeurs et sans trop savoir pourquoi, au lieu de lui réchauffer la peau, il lui glace le cœur.

S’il vous plaît, ne me parlez pas de « enfin ». Ne me parlez surtout pas de toutes ces choses qui sont claires comme de l’eau de roche, qui s’imposent d’elles mêmes pour finalement ne rien apporter.

Je crains bien qu’il n’y ait pas d’enfin pour un personnage comme lui.

Acide Interne Illimité

La plupart du temps, il affectait de ne pas avoir de corps. Il s’oubliait tout simplement et le corps sombrait naturellement dans cette poche d’oubli. Corps et âmes réunis dans un simulacre qui durait depuis toujours.

Cependant, de temps à autre, ce corps se rappelait à lui. Non, ce n’était pas devant le miroir comme pensent certains. Ce n’était pas non plus tout à fait dans le regard des autres. C’était tout autre chose.

Certaines semaines son corps se faisait acide et lui faisait payer d’une certaine façon son oubli. C’était des maux de ventres à n’en plus finir, à ne pas pouvoir se lever, des remontées brûlantes qui le laissait pantelant. Des crampes innommables à vous plaquer au sol.

Et pourtant, il s’en fichait éperdument. Il attendait le temps nécessaire, n’allait surtout pas se faire soigner car il savait que tôt ou tard l’inertie reprendrait ses droits. Rien ni personne et surtout pas son corps ne le ferait changer de trajectoire.

Lolita, tu te mens

Lolita tu te mens
à toi-même,
à tous ceux qui t'écoutent.
Je le sens à plein nez.
Tu ne peux pas dire ça
pas à moi.
Cela n'a pas de sens.
Juste un ramassis de conneries.
Alors tais toi et viens là,
laisse parler ceux qui en ont envie.
Ne te perds pas dans ce jeu, Loli
ta raison défaille
et ne me dis pas que c'est écrit.
Mais déjà ce sourire qui ne me dit rien qui vaille,
à vrai dire est ce que j'ai encore le choix ?

Lolita tu te mens,
à moi-même,
à tous ceux qui t'écoutent.
Moi qui croyait que tu échappais
aux jeux des évidences à pleins poumons,
moi qui croyait que tout ce que tu voulais
c’était monter les marches de la Butte
et les redescendre sans jeter un seul coup d’œil,
ne serait ce un seul,
sur ce qui se passe en bas.
Que tu étais la femme, la fille
qui ne sourie qu’aux inconnus
habillés comme des touristes anglais.
Mais déjà ce sourire qui ne me dit rien qui vaille,
à vrai dire est ce que j'ai encore le choix ?

Lolita tu te mens,
à moi même
et à tous ceux qui t'écoutent encore.
Tu mords dans la main qui te retient
Tu craches sur le visage qui te défigure,
Les crasses que tu racontes
Reviennent se déposer au creux de ton épaule,
Ça sent la fin ma Lolita,
On n’y peut plus rien, il faut laisser faire
S’écrouler avec classe et faire passer le chapeau.
Autour de toi des gens encore subjugués
Même pas surpris de s’être fait avoir
A la longue il faut croire qu’on y prend goût.
Mais déjà ce sourire qui ne me dit rien qui vaille,
à vrai dire ai-je jamais eu le choix ?

Tout ça me rappelle

Tiens, tout ça me rappelle l’autre là, mais si tu sais bien, ne me dis pas que tu ne sais pas, tu sais, l’autre fille là dont on ne voulait pas, joli cœur et tendre chatonne qui plus est mais bon, tout juste bonne à baiser, un jour, une nuit, je croyais bien l’avoir oubliée en fait jusqu’à ce que je tombe sur une autre du même acabit, du genre bébête et pas très propre du cul. Elle a fait l’affaire, tout comme l’autre, j’ai fait mine de m’intéresser à son babillage tout en pensant à l’échéance, ni tendre, ni passionnée, juste hygiénique et un peu brutale. Tout comme pour l’autre, je suis rentré après en me demandant combien de temps j’allais mettre pour l’oublier. Tout comme l’autre, je sais qu’elles sont là, on dirait qu’elles ne demandent que ça, de vrais boulets je te dis, enfin, tout ça pour te dire que l’autre là, la première et bien, elle est morte, elle a été tuée après avoir été violée à ce qu’il paraît.

Parce que

Parce que

Vladimir était plutôt le genre de garçon qui se laissait fatalement gagner par l’émotion occasionnelle. Par exemple, se lever du lit, appuyer sur la touche « random » de son lecteur MP3 branché à la chaîne hi-fi et surtout, adopter immédiatement l’humeur de la chanson qui se faisait entendre à cet instant là. Ce n’était pas une question d’inertie, juste un état de disponibilité poussé à l’extrême. Vladimir était ouvert, une girouette qui n’arrêtait pas de tourner autour d’un sentiment qu’il ne voulait surtout pas toucher lui-même du doigt. Ce qu’il ignorait sciemment, c’est que depuis un certain nombre d’années sa vie ne tenait plus qu’à un fil. Cette musique qui, chaque matin, avait le don d’être à la fois sa volonté et son désir de vivre, qu’importe le flacon, seule importait la partition à travers laquelle il devait se mouvoir.

Ce jour là, son doigt en appuyant comme d’ordinaire sur la touche « random », un léger accord de violon annonça la chanson Parce que de Charles Aznavour. Et il en fut ainsi.

Aux premières notes qui retentissaient, à l’amorce de la voix qui disait déjà : « Parce que t'as les yeux bleus », il se leva d’un bond pour arrêter la musique mais sa volonté fut de courte durée et il se résigna bien vite. Cette journée serait donc la conséquence directe d’une certaine intonation de la voix, d’un léger contretemps du piano.

Parce qu’il ne pouvait en être autrement. Parce que c’était la chanson favorite de Virginie. Aujourd’hui, il ne sortirait pas. Il tira les persiennes, se recroquevilla dans son lit et laissa enfin affluer les souvenirs.

La scène de séparation, si réelle, telle qu’il ne l’avait pas vue depuis si longtemps. Virginie, jeune et jolie, pour faire cliché, terrible et exigeante, pour dire la vérité. Tout se joue aujourd’hui.

Tiens, la radio passe « Parce que », ce n’est pas ta chanson favorite, par hasard ?

Pas de réponse.

Le jeune Vlad prêt à lâcher le boulot qu’il adore, prêt à aller s’enterrer dans la Creuse parce qu’elle le désire. Le jeune Vlad attentif à tous ses gestes, prêt à se courber jusqu’à briser ce qui le maintient encore debout ; son amour. Mais, elle, ne dit rien, ne le regarde pas non plus. Elle continue à fixer son café, froid, sans doute, depuis quelque temps déjà. Lui, encore, tentant à tous prix de ne pas interpréter ce silence et surtout pas de ne pas prêter attention à ce satané Aznavour qui dit des choses comme : « Car la mort n'est qu'un jeu comparée à l'amour et la vie n'est plus rien sans l'amour qu'elle nous donne ».

Elle, qui relève enfin la tête, ses cheveux blonds, ses délicats yeux bleus, si durs pourtant et comme seule réponse un long soupir à travers des lèvres qu’il n’embrassera jamais plus. Elle, qui se lève et qui part.

Parce que rien de tout ceci n’a de sens, parce qu’il sait qu’il ne s’en remettra jamais vraiment. Il ne se lève pas, il ne court pas derrière elle tentant d’invoquer un nouvel argument afin de la retenir.

Parce qu’après tout, il préférait peut être se tenir là, toute sa vie durant, au seuil d’un amour éternel que lui promettrait sans cesse une certaine chanson qu’il aurait préféré ne pas écouter ce matin là.

Parce que.

Plus d'amour de saison (projet de chanson)

Il n’y a plus d'amour de saison.
plus de liens sans raisons,
plus de coeur qui mord à l’hameçon.
je suis l'homme qui a oublié d’apprendre à t’aimer.


Il n’y a plus de raison d’oublier.
Plus de saison à effacer,
Plus de cœur à empoisonner.
Je suis l’homme qui ne connaît pas le goût du poison.

Tout est à côté de toi
Autour de toi et en toi, mais
tu passes ton temps à feindre
à feinter avec la marée qui s'éloigne.

Il n’y a plus de cœur dans ta vie.
Plus de saison qui s’enfuit,
Plus d’amour qui détruit.
Je suis l’homme qui a construit l’inaccessible piédestal.

Tout est à côté de toi
Autour de toi et en toi, mais
tu passes ton temps à feindre
à feinter avec la marée qui s'éloigne.

Aujourd'hui

Aujourd'hui,
je ne veux pas entendre parler d'aujourd'hui.

Demain ne sera pas non plus le bon jour.

Autant passer son chemin et faire comme si de rien n’était.

Autant revenir à l’ordre des choses tel que l’on se l’imaginait.

Et pourtant, on ne peut pas dire que tu ne m’avais pas prévenu.

Un aujourd’hui que tu voudrais façonner à l’image d’un hier. Comme recoller les morceaux d’un mythe qui s’annonçait radieux. Alors, tu évites la question qui s’impose sur toutes les lèvres.

Pas d’aujourd’hui pour aujourd’hui. Rien qu’un hier qui durerait indéfiniment. Un jour comme hier qui prendrait le temps d’exister, de se substituer au présent et de parachever une existence qui se croyait essentielle.

L’absence s’écrit à l’envie

L’absence s’écrit à l’envie. On ne peut le nier. Quoiqu’il advienne, on en revient toujours à cette simple évidence : l’absence.

Un détail ne concorde plus. Ce n’est pas ce que l’on nous avait annoncé. La réception ne peut plus avoir lieu. Il manque quelque chose. Il manque quelqu’un.

C’est un détail qui maintenait l’équilibre apparent, qui empêchait l’édifice, tel qu’on se l’imagine, de s’écrouler. Une fissure au dessus du porche, un miroir flamand au dessus de la porte d’entrée.

On nous a vendu une illusion qui ne pouvait durer. On se retrouve à marcher sur les traces de ce qui ne sera pas. Et pourtant, j’insiste, on a été formels : Avancez, il ne vous arrivera rien. Et j’y ai cru vingt ans durant.

La réception devait avoir lieu à neuf heures. Tous les convives sont enfin là mais, rien. On s’attarde encore un peu, on prend presque plaisir à revoir certaines personnes. Pourtant tout le monde se tait car du jardin surgit une drôle de petite musique, comme une fanfare affreusement désaccordée. Je m’avance presque sommé de suivre l’air de musique et je ne suis presque pas surpris de voir qu’il n’y a plus personne. La musique s’est arrêtée. Les invités finissent par partir, un à un, franchissant la porte d’entrée comme des condamnés d’un autre temps.

Il est temps que cela finisse mais cela n’a pas de fin.

Musique à usage personnel : World without end de Laurie Anderson

Lorsque tout s'arrête, on n'entend plus que des notes écrites comme des points de suspension.

Lorsque tout s'arrête, on est soi même suspendu au dessus de sa propre vie ne sachant plus très bien quoi en penser.

Pourquoi hésiter ? Pourquoi ne devrais je pas sourire à ces visages qui ne sont plus là depuis longtemps ?

Parce que le mouvement dicte sa loi, parce que le mouvement devrait toujours avoir raison.

J'ai beau bégayer, je sais que quelque part j'ai raison et que ce monde sans fin ne sera pas pour moi ce soir. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est une chanson et qui suis je pour oser la contredire ?



Il y a longtemps de cela il y aurait du y avoir un incendie, un grand feu purificateur et sans doute salvateur. Un tournant, une pierre blanche, l'occasion de se dire " ça y est, j'ai tourné la page".

Ce moment n'a évidemment jamais eu lieu. Parce qu’on est avant tout le fruit d'une union empoisonnée, chose terrible qui ne porte pas son nom et qui ne nous permet pas de le dire, un jour, à haute voix à ceux que l'on aime; aujourd'hui.

Voilà ce sentiment que souligne la musique ce soir. On s'en serait sans doute bien passé mais qui sommes nous pour commander aux sentiments ? Quel affront que celui de croire qu'à des années de distance nous sommes à l'abri de l'absence, de la perte inconcevable et de ce qui s'en suit.

On a beau savoir que la musique est traîtresse, que le poison est doucereux et en apparence apaisant, on est trompé, à nouveau. Encore un soir à se poser les questions qui précisément ne demandent aucune réponse.

Tu ne sauras jamais ce que cela fait d'être définitivement absous, tu as beau écrire et tordre ton coeur pour voir ce qu'il en sort, c'est ainsi, tu écoutes World without end de Laurie Anderson, tu écoutes cette chanson une fois et une autre et encore et tu te dis que cela ne finira jamais. Ici ou ailleurs, le même manque sans nom, les mêmes personnes qui s'enfuient en te voyant.

Elle existe

Elle existe, elle occupe de l’espace de peur de laisser du vide derrière elle.

Elle s’échappe mais ne va jamais très loin. Elle voudrait mais ne sait pas très bien quoi.

Elle attend, une minute puis deux, comme nous tous, à attendre un signe.

Elle n’oublie pas, elle a appris sa leçon par cœur. Et pourtant, si on lui demande qui elle est, elle ne sait pas.

Elle ne s’excuse pas. Elle en a marre de tout, de rien, de son contraire et de quelque chose d’autre, aussi.

Elle sort, elle parle par vagues successives, contradictoires, ses phrases se font assassines.

Elle bout à l’intérieur, elle craint d’exploser, que la soupape de sécurité s’arrête un jour de fonctionner, que l’existence finisse par prendre un sens et qu’il ne soit pas celui auquel on s’attendait.

Elle existe de peur de ne plus être. Elle occupe de l’espace de peur que le vide soit le plus fort.

Elle s’échappe dans une chambre pleine de miroirs et d’échos surprenants. Lorsqu’elle parle ce n’est pas elle qui s’entend parler.

Elle attend, ils vont venir, ils le lui ont promis mais son adresse n’est plus la même.

Elle a peur de se souvenir, elle a changé si souvent d’adresse que les lettres qui lui sont destinées n’arrivent plus nulle part. On les retrouve parfois sans trop savoir quoi en faire.

A vrai dire, si elle existe c’est sans doute parce qu’elle ne sait pas quoi faire d’autre.

Musique à usage personnel : Dans mon dos de Benjamin Biolay

Dans mon dos Benjamin Biolay

Bien sûr, dans la position qui était la sienne, il n’était pas rare qu’au coin de la rue Bonaparte ou bien à une certaine soirée lorsqu’il rentrait dans une pièce où deux personnes discutaient en aparté … Dans d’autres circonstances aussi. Mais souvent, à n’en pas douter, il ne faisait que constater, prendre en note ces mots qui s’égrènaient autour de lui, parlaient de lui jusqu’à ce que le silence ne se fasse, à nouveau.

Que les gens parlent de lui dans son dos, en soi, ce n’était pas un problème. Seul comptait le vieil adage, noté par Dalí dès son plus jeune âge, à savoir « Peu importe que l’on dise du bien ou du mal de moi, l’important c’est que l’on parle de moi ». Que l’on se méprenne, que l’on cherche à mettre des mots sur ce qui dans le cours de sa vie n’avait plus de sens depuis bien longtemps, voilà bien ce qui ne l’inquiétait pas le moins du monde. Mais que ce soit elle, ça non.

Pas elle, par peur qu’elle n’ait raison. A quoi bon tous ces stratagèmes patiemment mis en place si une seule personne arriverait à percer la cuirasse aussi facilement ? Cela ne doit pas arriver. Un geste doit occulter le sens profond, la parole doit bluffer, faire croire que l’on va jouer pique alors que l’on a que du cœur …

Mais, il n’y peut rien. Elle ne cesse de parler de lui, à ses proches et même parfois aux inconnus rencontrés par hasard. C’en est presque trop. Pourtant, il doit laisser faire car de ces propos surgit parfois la clef, la compréhension même si tout a tendance à se mélanger et à se confondre.

Ainsi, elle parle, elle dit des horreurs parce qu’elle l’aime, elle le couvre de compliments pour qu’on le déteste autant qu’elle. On n’y comprend rien mais on colporte, on tisse à l’envie les liens entre ce qui reste à dire.

Peu à peu un livre s’écrit.

Un livre saigné à blanc dès les premiers mots, un livre qui se lit en creux, qui se lit dans le dos d’un homme qui ne veut plus rien savoir. Peut être un livre qui s’en veut d’être aussi cruel mais … un livre quand même.

Garder à soi

Garder à soi

Garder à soi
Tout ce qui est nécessaire
Pour avoir encore plus mal.

Garder à soi
Tout ce qui a un sens
Pour ceux qui s’arrachent les yeux.

Garder à soi le sel et la terre,
Les affiches et les tickets de cinéma,
Tous les détails pour que je n’oublie pas.

J’aurais aimé tout garder, récupérer exactement tout ce dont les gens se délestent pour voguer plus librement. Voilà ce que je voulais, justement, ne pas bouger, rester un point immuable qui aspire à l’infini. De l’immobilité, j’aurais fait mon refuge. Du silence, j’aurais fait mon langage.

Garder à soi les reçus de la Poste
les timbres oblitérés,
les multiples actes de ma naissance,
les clefs rouillées qui n’ouvrent plus rien,
les photos de gens que je ne connais pas.

J’aurais aimé tout garder pour savoir qui j’ai été, répondre avec justesse aux questions que posent mon prénom, dans la rue, à la terrasse d’un café, à la porte d’une boîte de province, le calme d’une clope après le travail, une route de campagne escarpée qui longe la Loire.

Garder à moi
Tout ce qui à un poids,
Comme une ancre de marbre
Posée sur une table qui ne s’effondrera pas.

Garder pour moi,
Les noms, les adresses, la traboule qui part de la rue de la République,
L’escalier qui longe le parc aux grilles qui ne me retenaient pas plus que cela.
Garder le futile et savoir quoi en faire.

Mais dès le début, je n’ai pas su comment faire et depuis, j’ai tout oublié, je n’ai rien su garder. Je ne sais plus quel est le nom de ce chat blanc, je ne sais pas à qui est adressé cette lettre et surtout, je n’ai pas gardé la saveur des plats, l’odeur et la chaleur des contacts, le nom de ce cafetier qui habitait une cave et ainsi de suite jusqu’à la fin de ce que pourrait être ce texte.

J’imagine

J’imagine parfois très bien la fille dont j’ai été amoureux, là, au téléphone. Le dos appuyé au mur. L’air absent, comme souvent. Les yeux comme une mer depuis longtemps asséchée. Une conversation au téléphone, pleine de silences divers. Entre autres, un silence blanc que l’on voudrait oblitérer et dont pourtant on ne peut se passer. Des yeux, encore, mi clos, mi fermés, selon votre humeur du jour, clos sur l’évidence qui commence à poindre, ouverts sur le déni de nombreuses années passées ensemble. Des années de bonheur, il me semble. Je ne saurais dire avec exactitude aujourd’hui. Je ne peux quand même pas me tromper à ce point là.

Le froid de l’air sur l’esprit et sur le visage de Pierre Reverdy

Le froid de l’air sur l’esprit et sur le visage de Pierre Reverdy

De cette âme matérielle et si lumineuse, on ne retiendra sans doute que l’évidence, les fruits mûrs, les étoffes soyeuses et miroyantes. A l’heure de s’en remettre à la Vérité édictée par d’autres que nous, lui se contentait d’attendre. Car tout n’était pas dit.

Il est pourtant fort possible que s’il l’avait vraiment désiré il aurait pu appréhender cette femme qui marchait d’un pas décidé devant lui, cette femme encore, blottie au fond de sa grotte, elle aussi soumise aux caprices des abysses, toute droite, tout contre le reflet qu’elle formait sur le carreau d’une fenêtre. Mais ce jour là, il ne regardait pas du tout dans sa direction à elle, il ne voyait rien. Peut être pourrait on même dire, sans risquer de paraître ridicule, qu’il ne regardait absolument rien ce soir là.

On ne regarde pas devant soi durant des heures sans ne rien voir. C’est un fait établi. Et pourtant …

Ce qui se laissait voir, c’était l’immuable qui déroulait son long manteau, traînant un peu, histoire de passer le temps, autour d’une fin d’après midi d’automne.

Il lui aurait pourtant suffi de lever la tête, de constater que le ciel était remarquablement dégagé et qu’une étoile ou deux brillaient déjà au loin. Une seule seconde aurait suffit à lui faire comprendre ce que la phrase « la musique des corps célestes » voulait dire, lui qui écoutait même Jimmy Scott à cet instant là. Peut être se serait il lui-même pris pour un paysage découvert par une éclaircie inespérée. Plus les pages se suivent moins ce genre d’évènement a de chance de se produire.

Comme la combustion spontanée d’un élément ignifuge, ce sont des cendres soudain révélées à un homme qui se tient debout, immobile, derrière les carreaux de la fenêtre de son appartement.

Avalanche permanente

De tous temps il en avait été ainsi.

Une épreuve qui se présentait comme un festin.

Un festin pour ainsi dire.

Un festin unique où un seul hôte est attendu.

De cet hôte, on ne savait pas grand-chose.


Et pourtant, à l’évidence, il n’était là que pour éprouver celles qui croyaient dédier leur vie à l’amour.

Epreuve de sel et de feu, presque divine dans sa barbarie.

A la recherche d’un absolu païen, elles finissaient toutes par se briser les ongles sur un point d’interrogation permanent, solidement accroché à un socle immuable. Un hôte, recroquevillé à un doute qui n’en finit pas de défier les courbes les plus sensuelles pour finir sur ce point qui est plus que final.

Et pourtant, mendiant de l’amour, bossu de la représentation, il pouvait parfois l’être, un instant durant, avant de resserrer les rangs de son amour propre et de mordre allègrement dans la bouche de celle qui s’offrait ainsi à lui. Avalanche constante et immuable. Les accalmies viendraient peut être avec un autre que lui. Après.

Avalanche, partout et nulle part à la fois. Aujourd’hui, par exemple. Sans raison apparente de faiblir et elle ne s’apaisera donc pas. Sa raison d’être étant une abomination, à toutes heures et en tous lieux. Tant pis pour ceux qui se trouveront sur son chemin.

Avalanche d’incertitude, triste destin pour une neige si pure, au ralenti, on la voit déferler en dépit du bon sens, emportant sur son passage ceux qui attendent encore ; quoi ? On ne saurait dire. Un déséquilibre qui durera ce que dure une éternité.

Ne pas se laisser ensevelir, se laisser porter au-delà de ce que l’on pouvait espérer, écouter une chanson et s’y tenir. Il était trop tard pour y changer quoique ce soit. Secrètement pourtant, il appelait de toutes ses forces à un changement. Qu’une femme arrive enfin à l’absoudre de son inconstance si particulière. Bline aurait pu être celle là.

Les choses (telles qu’elles sont)

Le type appelle.

Il ne répond pas. Surtout pas. Il n’est pas là. Parfois cela se décide ainsi. Sans prévenir, comme un invité indésirable qui arrive au pire moment. Il doit par exemple faire quelque chose. Répondre au téléphone ou encore, sortir voir quelqu’un, manger, s’habiller mais cela ne se fait pas. Il n’est pas là pour ça. Quelque chose se grippe dans l’engrenage parfaitement huilé de la cause et de la conséquence, voire même de l’ici et du maintenant. Il n’est pas là pour ce genre de choses. Sans aucune raison apparente, sans sommation ; mais avoir ne serait ce qu’une explication rationnelle qui expliquerait ces « absences » ne réglerait pas le problème, bien au contraire.

Il n’est pas là. Il est peut être avec lui-même mais de cela nous ne pouvons pas être sûrs. Peut être s’écoute-t-il enfin. Découvrant le silence et les ponctuations qui vont avec, les arabesques suspendues tout autour de lui.

Le téléphone sonne à nouveau mais le bruit de la sonnerie est bien vite recouvert par les premiers accords tonitruants du disque qu’il vient de poser sur la platine, un disque qui s’appelle Berlin, à quoi bon bouger de cette pièce si la musique est capable de nous transporter si loin ? Dans ce genre de moments, il se sent très vite comme désincarné, la première chose qui lâche c’est bien sûr les muscles, le mouvement étant devenu superflu, vraiment optatif, la tête se renverse à l’arrière. Il est parti, Dieu sait où.

Corps, Bel et Bien.

Corps, bel et bien, sans traces et sans mystères, il n’est plus là.

Sans honneur et en jurant, déjà étouffé par le peu de temps qui lui restait encore, il est parti, essoufflé.

Sans un bruit, sans larmes ou presque, j’aimerais aujourd’hui épuiser son absence, l’étreindre et la forcer à me parler. Peut être pour me consoler ou bien pour me pardonner pour ce que je deviens chaque jour un peu plus.

Un clown triste, une demi-lune, un acrobate du déni. Lui qui se voulait si entier.

Son dernier souffle était pour moi. Une malédiction pour le reste de ma vie.