dimanche, juin 24, 2012

Musique à usage personnel: Tightrope par Laurie Anderson


Musique à usage personnel: Tightrope par Laurie Anderson

Il y a des paroles de chansons qui ressemblent à d'autres paroles de chansons.
Mais il y a aussi des paroles de chansons qui ne sont pas des paroles de chanson mais bien des mots que l'on aurait pu prononcer à certains moments de notre propre vie.

Tout ce que je demande c'est que vous vous souveniez de moi.
Et si se souvenir devient trop difficile,
Oubliez moi.”

Un jour quelqu’un est venu me susurrer ces mots là à l’oreille. Dieu sait que je n’étais pas prêt à ce genre de déclaration, loin de là. Et pourtant, je ne pouvais qu'acquiescer en silence. C'était juste. Je n'oublierai pas d'être oublié.

Si j'avais voulu être oublié, je ne serai pas allé à toute ces soirées. Je n'aurais pas tenté de briller par tous les moyens mis à ma disposition.
Mais si j'avais vraiment voulu qu'on se souvienne de moi, je n'en serais sans doute pas là.
Tous mes efforts, dans un sens ou dans un autre, finissent par s'annuler et il ne reste rien de moi. Juste un vague désir si difficile à formuler correctement.

Parce que le soleil n'est pas un rival que l'on cherche tous les jours.
Parce que le souvenir peut bien se réécrire autant qu'il le veut, à la fin il ne reste plus qu'une page blanche comme un aveu circonstancié de ce qui n'a pas pu être.
Parce que c'est dans une île que je me suis oublié.

Aujourd'hui, il ne me reste qu'à me souvenir de tous ceux qui m'ont demander de les oublier.

Autodafé


Autodafé

Dans un premier temps,
une scène parfaitement normale
puisqu'il s'agit d'un rêve.

Une place castillane en effervescence.
Ce soir nous aurons droit à un autodafé
et plus si affinités.

Au centre de la place,
un tas de carnets prêts à être brûlés.
Les carnets d'un homme de l'axe premier.
Quel est son crime?
Il a osé faire tourner le monde autour de lui même.
On ne saurait le lui pardonner.

Le public s'impatiente,
on ne peut l'en blâmer, on lui a promis du sang
et il n'aura droit qu'à de la chair de papier.

Le premier chapitre est trop court,
il n'a pas le temps de crépiter
que déjà,
l'enfance se consume dans ma mémoire.
Il en va de même de l'âge d'homme.

Bientôt, il ne reste plus rien de mon passé
si ce n'est une foule de témoins désintéressés
autour d'une froide place castillane.

Alliance


Les amants inconstants,
ils se meuvent lentement et avec insistance
comme les longs réseaux de la terre
comme un couple de sabre échoués en pleine mer.

Tu es mienne et je suis à toi,
on le désire de toutes ses forces
mais l'alliance a des lois que
l'homme ne saurait comprendre.
Ici, les rites sont anciens,
les habitudes encore plus.

Celui qui aurait du être victorieux
après des années de démence
n'a plus la force de se mouvoir
car la terre ne tourne plus qu'autour de lui.

Celle qui aurait du se satisfaire
des miettes du festin, n'est plus,
elle a préféré se trancher la tête
que de refuser sa dose de méthadone.

Les amants inconstants
ne durant qu'un temps.
Ce n'est pas l'anneau de feu
qui me dira le contraire.

Mauvais Sang (encore)


Mauvais Sang (encore)

Comme le héros de ce film, il rêvait parfois de courir et de s’envoler comme dans un rêve d’enfance lorsque la vitesse vous permet de croire durant un instant que la pesanteur n’est en fait qu’une invention d’adultes. Faire défiler des images entre l’ombre portée et l’ombre ressentie et surtout en réchapper, une fois de plus.

Dans le sang un antidote à l’immédiat. A chaque fois, des flots de bruit se répandent sur son passage mais rien ne peut plus l’atteindre. La vitesse nous protège. De l’extérieur mais aussi de nous même.

Mauvais Sang, brutal et occasionnel. Sage et pourtant encore à définir, à saisir à l’arrachée mais l’image se brouille déjà, vitesse de décompression, ahurissante de beauté. Mon Dieu, pourquoi ne m’as-tu pas fait à ton image?

Il est grand temps de repasser les images qu’il vient de voir, grand temps de copier les gestes et les attitudes. L’important est de ne pas faire de faux pas, de toujours sortir du cadre de l’image avant que le personnage ne s’effondre au sol, ivre d’amour et de beauté. C’est ainsi, à un dixième de seconde près que l'on pourrait peut être aspiré et sortir de l’inertie folle et enchevêtrée que l'on s'est inventé.

Mieux valait reprendre depuis le début. Courir et s’envoler à travers les plaines, parcourir le monde qui ne veut pas de nous et finir par éclater de rire, le visage étrangement analogue à celui d’un mystique en pleine extase.

dimanche, juin 10, 2012

sans titre



Ne pas se concevoir sans ennemi,
ne pas franchir le pas d'une porte sans s'attendre à la trahison,
j'ai vécu toutes ces années comme un spadassin aguerri
mais rien ne s'est passé.

De l'horizon viennent jusqu'à moi des rumeurs,
la trêve, la fin du conflit
mais je n'y crois pas
ce n'est pas ainsi que l'histoire s'achève.

L'homme ne rend pas les armes
L'homme ne peut pas rentrer chez lui,
il lui reste tant de territoires à conquérir,
tant de villes à prendre sans coup férir.

Mais je tiens la coupe de la vie dans mes mains
rien ne me fera renoncer à mes droits d'humain.
Ce qui ne t'appartient pas encore
n'existe que pur te rendre plus fort.

S'ils oublient l'appel du meurtre.

sans titre


Lorsque la nature puise la force de plonger dans l'oubli,
j'entre nu dans ce rêve aux conséquences irrémédiables.
Ces bras ne sont pas faits pour prier,
cette tête n'a pas de raison de durer.

C'est un amour supérieur qui me tord le cœur
c'est une plaine enneigée où règne le froid âpre
du Prince et des mendiants
quant à vous,
vous serez la Princesse de Corvisart.


Sous la rétine immense qui m'observe,
dans cette vie qui me demande de mourir,
dans quel pays demanderais je l'exil
diplomatique et synthétique.

Car tout se résume à une peine,

tout soudain s’enfuit, tout s’élève.

On aime


On aime,
on chasse,
on brise la glace, à l’envers.

On part,
on traîne,
on perd le sens de l’hiver.

On glisse,
on se hausse,
on perd l'envie du verre.

Je ne sais pas où tout a commencé
qui est l'auteur du premier geste déplacé
mais la courbe ne s'épouse plus,
le cadre refuse de se redresser.

On a aimé se perdre,
on a chassé la glace qui se brise à l'envers,
on est parti en altitude frôler le sens de l'hiver.

Je ne sais pas où tout a commencé
qui est l'auteur du premier geste déplacé
mais la courbe ne s'épouse plus,
le cadre refuse de se redresser.

L'anneau de feu


L'anneau de feu

Parce que l'anneau de feu m'éprouve depuis longtemps déjà.

Dans un cercle et déjà les amants qui attendent
l'heure de briser l'irrémédiable jonction.
Le remous des conversations les en empêchent,
on y pense et puis on y oublie,
Ils devraient pourtant savoir qu'on ne quitte pas un endroit comme celui ci.

L'heure du serment qui résonne encore
Paris est encore mort
et on ne se relève pas de ce genre d'affront là.
L'église a ouvert ses portes,
les amis sont là et les amants se méprennent,
sur le sens des mots, sur la portée du Très Haut.

Parce que l'anneau de feu brûle ceux qui n'y croient pas.

Musique à usage personnel Sound and Vision par David Bowie

Musique à usage personnel Sound and Vision par David Bowie

Elle est là, au milieu de la pièce. Les rideaux sont tirés. Elle est assise en tailleur, appuyée sur deux coussins qui ont l’air confortables. Elle est pieds nus. Elle a les traits tirés. Cela fait quelque temps déjà que tout est fini, que tout est censé être fini. Cela n’en finit pas de finir. Ce qui est dit et fait aujourd’hui n’efface plus ce qui s’est dit et a été fait hier. Sa vie semble n’avoir pas plus de sens qu’une porte qui s’ouvre et se referme sans cesse poussée par un courant d'air capricieux.

Je sens les émotions, celles que je ne connaîtrais plus, glisser lentement de ses yeux vers ses seins. Elle se lève pour allumer une clope, vaguement énervée de se trouver dans tous ses états, pour rien. Le cendrier est propre. Elle l’a acheté à une brocante en même temps qu’un ou deux bouquins, des recueils de poème. Elle ne lit que des poèmes en ce moment. Deux ou trois bouffées sur la nicotine puis l’immobilité totale. Elle sourie brièvement en pensant à un épisode passé puis tremble de rage en pensant à demain. «Rage against the dying of the light» dirait Dylan Thomas. Partout autour d’elle, l’absence, l’absence de ce qui ne pouvait être. Cela n’en finit pas de finir mais demain c’est fini.
Elle est là les yeux grands ouverts, fixes, immensément belle; les yeux perdus dans une reproduction de Rothko accrochée au mur bleu pâle. Une couche de gris, une autre de marron, drôle de millefeuilles.
Elle se lève à nouveau, pour la centième fois aujourd’hui, s’approche de la stéréo et pose un disque sur la platine. Je parierais qu’elle n'écoute que ce disque en ce moment. Je ne sais pas comment mais soudain la musique exauce toutes ses prières. Elle dicte la marche à suivre. Elle égrène les sentiments, un à un, le long et délicat chapelet du désespoir. La musique a réponse à tout. Sur la platine, le chien Victor court après son maître et elle commence enfin à respirer. Elle se rend compte que depuis ce matin, ses poumons étaient comprimés par je ne sais quel étau. Elle ouvre une fenêtre, tire légèrement les rideaux. De la lumière rentre enfin dans la pièce. Je remarque que les tonalités dominantes de la pièce sont le bleu et le bleu pâle, pas seulement le mur, mais aussi le sofa et la nappe sur la table. Un bleu électrique même.

A travers la fenêtre, des bruits remontent de la rue. Pourtant la musique s’approprie peu à peu la pièce.

La chanson dit maintenant: «C’est une fille si seule, dans une pièce si bleue, avec un cœur si tendrement fort que je n’hésiterai pas à la serrer dans mes bras, si je n’étais pas certain de l’étouffer ainsi.»

Son visage semble concentré sur la musique et les paroles, la tête légèrement penchée comme lorsque l’on prête toute son attention à une personne que l’on apprécie. Une fois de plus, le répit est venu là où elle ne l’attendait pas. Elle ne le sait pas encore mais la vie a décidé pour elle. Une fois de trop peut être.

J’assiste, entre larmes inexpliquées et joie douloureuse, à l’envol de ce poids qu’elle traînait derrière elle. Quelque part au dessus de sa solitude, la chanson continue à lui susurrer les mille vérités que je n’ai jamais su énoncer.

J’ouvre les yeux. Elle n’est plus là. La pièce est vide. Mais je la devine encore quelque part au coin de mes yeux. Toujours à deux doigts, à deux pas ou à mille lieues. C’est fait. Je regarde la séparation étendue lascivement devant moi. Elle est bleue, électrique, elle a un son et une image bien trop réelle pour que je puisse la supporter.

dimanche, juin 03, 2012

Revenir au centre


Revenir au centre

Il fut un temps où le centre ne rendait de compte à personne. Pas même à moi.
Le temps d'une utopie ne se conjuguant qu'à la première personne du singulier.

C'est un point, une personne qui occupe tout l'espace disponible.
Là où l'émotion s'écrit en pointillé. D'autres points qui sont le même point.
Moi et encore moi. Et lorsque je pense que la réalité est prête à se dévêtir,
je m'abstiens.

Car je préfère délaisser le monde avant qu'il ne me délaisse.

Les premiers à fuir n'ont pas été les moins courageux quoique vous puissiez en penser.
Il n'y a pas d'intégrité qui s'acharne toute une vie durant.
Il n'y a que le désir luisant,
l'opacité de la pulsion,
quand personne ne s'exprime plus librement.

Une fois abandonné, le monde est vite rempli par les ombres de ce qui aurait été si, de ce qui aurait dû être si...

Je me suis laissé dire qu'on ne revient jamais vraiment. Et pourtant.

Portrait au mur


Portrait au mur

Un point comme un clou par exemple,
Un clou dans un mur,
Un clou duquel pendrait un portrait,
Un portrait, un visage, ou un autre,
Peu importe.

Car quand bien même ses traits se décideraient,
Enfin, un jour, à se figer …
Il ne s’agirait là
Que d’un visage à fixer, à envisager
Comme une possibilité à dévisager,
Un visage comme un dialogue à entretenir,
Des méandres à n’en plus finir,
Avec non pas une,
Mais mille issues de secours,

Avec l’exigence de s’en sortir.

Point de croix


Voilà donc que vient le jour
où il vaut mieux trouver quelque chose à dire
où il faut retrouver l'allure de ceux qui parlent à longueur de journée
où il faut faire une croix sur ce silence
cette absence de paroles
qui se développe dans l'indifférence.

J'aimerais commencer par une affirmation,
décisive et sans appel,
en appeler à la manivelle,
reprendre le point de croix qui s'est déroulé à l'envers
d'une conversation beaucoup trop longue.

Mais je préfère me taire.
Il y a dans cette assemblée réunie
suffisamment d'acteurs aguerris
pour pallier au vide de mon ministère.

Je ne peux plus faire semblant.
Il n'y a pas plus de messie que de diable dans le désert.
Mais rassurez vous.
Cela fait partie de mon plan.

Ode à ceux qui.

 
Le 31 décembre, le cœur de certaines personnes se met à vaciller, se portant non pas sur l'année à venir mais bien plutôt sur le chemin parcouru.

Cette période de fêtes cela fait tellement longtemps que cela ne ressemble plus à rien que je me demande bien à quelle époque j'appartiens et puis soudain en ce soir de 31 décembre 2011, je me rends compte que je ne m'appartiens plus. C'est là que mon cœur vacille, de bonheur, face à ce vide qui dure depuis 2003, ce vide qui n'en finit pas de se remplir. Comme quand je m'arrête de penser, de vivre presque. Oui, cela ne sert presque à rien de vivre quand on a eu la chance d'avoir des amis aussi fantastiques que les miens. Je ferme les yeux, je fais le vide et des bribes de phrases me montent aux yeux. Un paragraphe pour chacun d'entre eux, un court paragraphe pour m'empêcher de chialer.

Je connais les gens les plus formidables au monde mais le savent ils?

Sur l'image d'un coffret de disques, je contemple une belle spirale inspirée de la série Twilight Zone et cette question récurrente: mais où est il passé ce coffret? Quand on ne sait pas partager simplement, voilà ce que certaines personnes font: se prêter des disques, ce coffret par exemple. Là où certains emploient des mots, d'autres posent le diamant de la platine sur le disque et se laissent dicter leur conduite à venir. Ça dit quelque chose comme Disconnected by your smile, et ainsi de suite, et comme ça une longue liste de phrases encore valables aujourd'hui ou franchement obsolètes comme ce Will never Marry de Morrissey qui aujourd'hui me fait bien marrer. Pour toutes ces choses, merci, car ces disques que tu m'as prêté ce n'étaient pas que des disques et tu le sais très bien.

Sur la musique qui prend une place si importante que je ne sais plus quand le sortilège a commencé. Car il y a bien eut un avant et un après. Comme ce garçon qui me faisait voler des BDS à la librairie Plaine de Saint Etienne. Je crois que cela a commencé cette année là. 1988. Tu te souviens on portait les mêmes bermudas fluos, as tu comme moi fait disparaître toutes les traces de ce passé compromettant en déchirant toutes les photos où tu y aparaissais? On ne peut quand même pas sérieusement passer pour un brun romantique et avouer avoir eu des Tshirts fluos jusqu'en 1989. Parce qu'un samedi matin, c'est de noir que je me suis vêtu, j'oublie tout mais je n'oublierai pas ce matin là. Mon Dieu, on passe tellement d'énergie à réécrire l'histoire … Bref. Il y a eu d'autres moments partagés plus tard à Marseille et de la musique à nouveau, la chanson de Thom Yorke et PJ Harvey en boucle, il faisait chaud mais rien n'aurait pu réchauffer ton âme ce jour là. Parfois j'ai l'impression que nous sommes encore dans cette boucle qui occupait tout l' espace mais j'aimerais me tromper. Prouve moi que j'ai tort et je pourrais me dire que je suis vraiment ton ami.

Dans un collège, un couloir de collège, une file d'élèves devant la porte de la classe de français d'un collège. Parfois cela débute comme ça. Vous me croyez si je vous dit que cela continue encore, combien d'années plus tard? 16 ou 17 ans après? On ne peut préjuger de rien avec toi sauf peut être lorsque cela concerne tes enfants. Et on ne pouvait vraiment pas préjuger de cette amitié. On l'aurait volontiers achevé, décapité même. Et pourtant l'incroyable est d'une telle simplicité parfois! Cela passe par des changements, des ajustements sans doute involontaires mais qui portent en eux le germe de la durée. On n'a pas la famille que l'on veut et il faut croire que j'aurais bien pu avoir un petit frère à peu près présentable. Pour ton forfait SMS illimité, je dis merci.

Une conversation, une autre. Sur les marches de la Grand Poste de Saint Etienne. On parle de Peter Gabriel. On a enfin un point commun, c'est d'ailleurs à se demander comment on a pu se parler en fait. Des années durant, on n'en finira pas d'allonger cet échange musical et n'en doutons pas, nous n'en aurons jamais fini de nous envoyer à la figure, le meilleur morceau pour qualifier l'air du temps. Comme un match Lendl/Connors en somme. Toutes ces fois où on s'est effondré sans bruit, sans que personne ne s'en aperçoive, où on priait pour se rappeler le texte que l'on devait dire et où on on priait pour rien et son contraire. Prier Sainte Liz Fraser et Frère David Sylvian et puis aujourd'hui, où on oublie de prier, où on flotte sans doute, acrochés à un bout de bois, la fameuse plache de salut, qui ne ressemble sans doute pas à l'idée que l'on se faisait de notre vie, mais on se raccroche parce qu'il en est ainsi. Parce qu'il en est ainsi et c'est très bien comme ça.


Je connais les gens les plus formidables au monde mais le savent ils?

Dans un autre couloir. C'est déjà la fac. Je fais mon intéressant. Cela a duré longtemps comme phase, non? Donc j'imagine que cela se passe dans un couloir mais peut être pas en fait. C'est une sensation qui me frappe surtout. La chaleur. Non pas celle de la cuisine qui flambe en 1992, tu te souviens? Non, c'est plutôt la chaleur d'un caractère ouvert et avenant. Ce serait trop simple, n'est ce pas? Rien n'est si simple. Ces années n'ont pas été simples, tu le sais bien. D'abord, la tension familiale, cette tension qui nous pèse et qui pourtant a fait de nous ce que nous sommes aujourd'hui. En bien et en mal. La chaleur des rires. Qu'est ce que cela fait du bien de se faire du bien. On te trouvera beaucoup de qualités mais il y en a une qui me vient à l'esprit à l'instant même. Celle de convoquer les bons moments lorsqu'ils se font le plus pressants. N'oublie pas ta fougue mon grand. Et merci pour le jambon (on dirait le titre d'une comédie française bon marché). On peut faire mieux que ça non? L'injustice n'aura pas prise sur toi.

Et il y avait une maison biscornue... ça pourrait commencer comme ça, ou mieux encore, il était une fois à Saint Etienne une maison biscornue, une maison dont les fenêtres ne fermaient pas complètement tellement les angles droits avaient déserté ce lieu. Je me souviens de cette maison qui a précédé ma main se fourrant dans une chevelure blonde. Il ne fallait pas avoir peur du riz qui colle «tak» à cette époque là! Il fallait accepter la bonne humeur, comme on avait accepté les lettres à l'écriture penchée, ou bien cette drôle de phrase: «Il faudra bien un jour que tu sortes de ta chambre Daniel!». On va dire que tu avais raison mais que je ne sais toujours pas si j'en suis vraiment sorti.

Je repose ma tête sur des lits que je n'ai pas pu partager. Car j'étais attendu ailleurs. Il s'en ait fallu de peu mais le peu a occupé toutes ces années de malentendus et d'apparitions que je pouvais à peine accepter. Il n'y a pas deux personnes au monde plus différentes que toi et moi. C'est ce qui m'a toujours plu, cette conviction que je ne pourrais jamais te ressembler car ce que tu disais n'avait aucun sens pour quiconque d'autre que toi et puis un jour j'ai finalement accepté de ne pas comprendre, ni toi ni tous les autres mystères qui nous entourent.

Tout est dit mais tout reste à faire. Il y a les gens que l'on continue à porter dans son cœur même si cela ne sert à rien, même si le fardeau te brûle les épaules. Nous n'avons plus la possibilité de nous revoir mais ceci, cela n'incombe plus qu'à moi et tu comprendras que je sois un poil paralysé, quelque part entre la joie de te revoir et l'appréhension de ne plus savoir qui tu es. Alors, les gens continuent à être là, à travers milles signes distincts que le souvenir s'applique à jalonner notre vie nocturne. Ça ne s'arrêtera donc jamais et c'est très bien comme ça, l'amitié n'a presque pas besoin de notre consentement pour continuer à exister. Il y a un lettrage de fruits et légumes place Chavanelle qui l'a longtemps attesté.

Tes voisins ont encore râlé à cause du bruit. Cette fois c'est sûr, ils vont appeler les flics et qui pourraient les en blâmer? Le disque que je passe en boucle n'arrange pas les choses, d'un autre côté je me dis que David Bowie ça leur change de Stevie Ray Vaughan, ils devraient me remercier en fait d'apporter un peu de nouveauté dans le chaos sonore qui résonne dans la cage d'escalier. Je m'éclipse chez la voisine du dessus craignant que David ne prépare encore un sale coup. Je me rends compte que ce n'est plus la nuit mais le petit matin, c'est moi qui fait l'ouverture aujourd'hui. J'ai intérêt à avoir des chewing gums pour ne pas faire fuir la clientèle et je m'endors comme une masse devant une porte qui refuse de s'ouvrir. On verra plus tard.


Il faut parfois se revoir sur une vieille photo pour comprendre à quel point notre vie a été privilégiée. Cette soirée chez des gens dont je ne me souviens absolument pas, toi en pleine discussion avec Karine, encore en train de fomenter des théories sur la nature amoureuse sans doute, en train de te convaincre qu'on n'a pas le droit au bonheur même si ton sourire m'a toujours convaincu du contraire. Et puis cette drôle d'épiphanie le jour où tu m'as fait écouter pour la première fois Fantaisie Militaire en bas d'un de mes chez moi. On s'en remet à peine.

Étions nous vraiment amis? En me revoyant te frapper la tête contre les rails du tramway à la hauteur de la fac, on pourrait en douter. Le sourire kabyle ne pardonne pas et tu ne m'as pas pardonné.

Un ami tenant la note sur Lucky de Radiohead.
Une amie obligée de fuir son père.
Un ami m'appelant pour me dire le souffle coupé «ça y est, je l'ai fait».
Une balle de baby foot qui court dans la rue.
Elle est où la Seine?
Ne me dis pas que tu ne connais pas Kristin Hersh?
Le seul à oser me parler de mes parents le jour de mon mariage.
Une phrase: Montre moi ton cul et je te dirai qui tu es.

Donc la musique mais pas comme toi, je ne chante pas, j’ai eu une copine qui avait installé un piano à la maison mais je ne suis pas musicien, j’écoute et ça me prend tout mon temps. Pas de classique, je suis toujours resté à la périphérie hormis une petite dizaine de disques depuis l’époque Stabat Mater, peut être un Arvo Part en particulier mais rien en fait d’aussi fort que l’émotion procurée par les disques découverts au lycée. Tu te souviens quand on est allé voir James Bowman? Ce disque, le Stabat Mater de Vivaldi est probablement le disque que j’ai le plus offert de toute ma vie. Bref. Tout ça nous amène à parler d’art. Il y a eu du changement à ce niveau là. J’ai glissé du snobisme au «tout se vaut». Je pique dans toutes les assiettes et, ô sacrilège, tout m’apporte, tout me convient. Je comprends très bien, je crois, ce que tu dis dans ton mail, la musique qui sauve … je vois aussi à peu près ce qu’il y a derrière cette phrase. Bon sang, que c’est difficile d’être simple, de se contenter de ce qui est là, à portée de main … tu vois ce que je veux dire?

La première fois que j'ai écouté Wish you were here, c'est chez tes parents à Villars. Mais la question que je me pose aujourd'hui, ce n'est pas ça. As-tu bien pensé à tuer le temps aujourd’hui?
Personnellement, je n'ai pas arrêté. La lune, hier, était arabisante en diable. Je l’ai malheureusement perdue avant de rentrer chez moi. Je t’avoue que je l’aurais bien gardée pour moi seul. Bien sûr, l’eau du de la Marne courait presque plus vite que moi. Tu aurais du voir ça. Je t’ai écrit deux lettres en deux jours. Où es tu passée? Je pense souvent à toi pour me persuader sans doute que tu n’es pas seule. Je te cite même parfois parmi mes amis quand bien même je ne t’ai pas vue depuis plus de quinze ans. Déjà? Combien de temps me faudra t’il pour comprendre qu’on ne vit pas raisonnablement avec autant de fantômes à la traîne? Je ne sais rien de toi mais je préfère croire que tu t’es trouvée, que tu ne lis plus une seule ligne d’André Breton.

Si on imagine un monde entremêlé de fils réducteurs qui nous tiennent à leur merci, il faut savoir se montrer reconnaissant lorsqu'un de ces fils nous rappela à l'ordre sur un quai de métro de Paris. J'aime cette idée qui dit «non, ce n'est pas fini, il reste quelque chose à écrire». Quoiqu'on puisse en penser, il faut se rendre à l'évidence. Les pointillés retrouvent un second souffle et nous voilà à nouveau dans la course. Sans ce quai de métro, pas de Mayotte, ce qui déjà n'est pas rien.Tu es la preuve que j'ai bel et bien un destin.

Il y a des gens qui érigent leur douleur en monument d'égoïsme et d'autres qui en font une passerelle ouverte vers les autres. Tu m'as fait partager le bon et le mauvais d'une sacrée histoire qui n'a pas fini de m'épater. Désolé de ne pas avoir pu en faire plus. (Et tu m'as fait aimer le karaoké, ce qui n'est pas rien!)

N'oublions pas que j'ai été un affreux salaud.
Je ne peux pas parler de mes amis sans oublier tous ceux que j'ai crucifié sur place à un moment ou à un autre. Difficile, oui, de ne pas regarder par dessus son épaule et de ne pas s'énerver.
Comment ai je pu?
Je n'ai pas de réponse même si je pense que je suis basiquement comme ça, un petit garçon qui n'en fait qu'à sa tête, qui s'est forgé une drôle d'idée de la morale appliquée aux relations humaines.
Il y a un temps où tout est devenu possible, où les conséquences n'avaient pas le même poids, voire même pas du tout. C'est un temps qui n'envisage pas vraiment de futur et où tout est bon à prendre.
C'est l'histoire du petit garçon qui veut toujours plus d'affection. Ne me faites pas pleurer... C'est comme ça. J'ai été naze. C'est tout.
Voilà c'est dit.

Un soir diablement compliqué à Lyon. 2003, pour donner une date. Je suis un poids mort, à la dérive et chancelant presque. Autour de moi, les conversations sont stériles. J'absorbe tous vos efforts pour être vivants. Mais vous ne bougez pas et me faites de la place, c'est déjà pas si mal.
Tu m'as rencontré lorsque je tombais. Ma chute a accompagné la tienne un temps durant. Que de belles étincelles quand même dans ce remake de la Chute d'Icare!!!! Quelle maladresse que la nôtre. Tu vois? Je ne cherche même plus à te blâmer. Le train bleu a déraillé et Jean Louis Murat n'y peux plus rien.

Bizarrement c'est toi qui pleurait à chaudes larmes alors qu'en fait c'est bel et bien moi qui aurait du pleurer comme une madeleine mais tu sais comme moi que je ne fais jamais les choses au bon moment. Toujours ce foutu décalage entre la vie et les impressions qu'elle m'impose. Aujourd'hui, j'aimerais que l'on rit aux éclats, comme ça, pour rien.

Il faut parfois des siècles pour faire le tour d'un visage. Ouvert et distant à la fois, tu avances en effaçant les traces de tes pas. Finalement, il t'a bien fallu engloutir plusieurs bouteilles de whisky pour que je commence à y voir un peu plus clair. J'imagine très bien la tête de Elena à l'arrivée du train. J'en ris encore mais ce n'est pas méchant.

Entre glauque clair et glauque foncé mais pas seulement. De vraies réjouissances, aussi spontanées que ces feux de forêt qui frappent en juillet mais aussi de l'immoralité à l'état pur. Est ce vraiment un problème? Je n'ai pas encore la réponse... L'alcool nous a abruti mais bizarrement a sublimé ceux qui nous entouraient. Je suis passé à autre chose mais je ne te renierai jamais.

Mayotte? Il n’y a pas un jour où je ne demande ce que je fabrique là. Il est évident qu’il y a deux ans de cela je n’aurais pas tenu un quart d’heure dans ce genre d’endroit. Bien sûr, nous sommes tous différents et ceci est valable pour une même personne à différents moments de sa vie. Donc, ici et aujourd’hui, je crois que je ne m’en sors pas trop mal. Pourquoi? Parce que je suis froid et distant, tu le sais bien. Mes défenses naturelles tiennent à peu près le coup. Mayotte c’est un chaos ensoleillé. Ce n’est pas le lieu, ce ne sont pas les gens, c’est tout …. Rien ne ressemble à rien. Pour quelqu’un qui fonctionne à l’occidentale c’est très très déstabilisant. Je peux difficilement expliquer … c’est dans le matériel … c’est dans le boulot. Tu as intérêt à te tropicaliser fissa sinon tu exploses en plein vol. Dernière chose, entre deux glaçons méditerranéens que nous sommes, tu me comprendras lorsque je te dis que tu me manques énormément?

Le soir est tombé depuis un bon moment, tu es un poil en retard. Je t'attends comme tous les soirs depuis de nombreuses semaines. Comment devient on accro à une conversation? C'est ainsi. On va parler d'épiphanie, de Monsu Désidério et j'essaierai à nouveau de te dire tout le bien que je pense de ce live de John Cale. Quelque part en toi, un livre s'est mis en marche. Qu'y a t'il de plus beau que deux âmes solitaires qui jouent à ne plus l'être?

Ce sont d'abord des yeux qui englobent tout. La petitesse et l'étroitesse de nos vies. Mais aussi cette étrange question que je me suis si souvent posé: qu'est ce que tu trouves d'intéressant en moi? Je commence tout juste, presque dix après, à me dire que c'est très bien s'il n'y pas de réponse à ça. Comme le Minotaure, tu as ce grain de folie qui effraye certains mais que moi je trouve plutôt rassurant. Dis, ça te dirais d'être parrain? Un parrain Minotaure, ce n'est pas courant! Marché conclu.


Et puis tous ceux sur qui je n'ai rien à dire, et ceux sur lesquels je ne peux pas écrire, parce que je n'en ai plus le droit. Ceux qui ne se présentent pas lorsque ma mémoire les convoque. Je pense à vous aussi mais personne ne le sait, personne ne doit le savoir.




Comme la pierre angulaire


Comme la pierre angulaire

Comme la pierre angulaire
Qui me ramène sans cesse là d’où je viens.
Tel un cercle qui ne se laisserait pas nommer,
La circonvolution n’a d’autre but que de se laisser paraître.
Tout mais ne pas revenir aux conséquences.

A l’origine, un point de départ,
Le compas tremblant,
Le tracé flottant,
Au dessus de l’arc d’un regard qui cible au hasard,
Une destinée choisie parmi tant d’autres,
Faussaire, Algébriste, Fripier?

Une vie ensuite,
A s’inventer des limites rassurantes,
Les limites d'un homme aux abois,
A l’orée du bois, le chasseur narquois,
C’est là, encore,
Des frasques à ne plus savoir qu’en faire.

Mais aussi:
une femme, imaginée à l’angle des passants.
Un pas au-delà du tracé convenu,
Un pas au-delà de ce qui lui est permis de vivre dans ce récit.