dimanche, mai 14, 2006

Variations sur un même mensonge

Non, ce n’est pas pour toi, ce mensonge là est pour une autre, réservé à d’autres yeux et ne visant pas, pour cette fois ci, les larmes que je me targue d’arracher lorsque cela me chante, alors, non, ce mensonge là n’est pas pour toi.

Désolé, de te décevoir une nouvelle fois, mais non, ce « toujours » là n’est pas pour toi.
Tu auras beau pleurer, supplier, jamais plus je ne te tromperai.

Aujourd’hui, ce mensonge, je me mets à y croire, il ne peut pas en être autrement. Alors, vois tu, ce ne serait que déraison que de te compter une nouvelle histoire creuse,
un sillon mille fois mal labouré, le plus beau vinyle du plus grand des affabulateurs.

Laisse toi gagner par ce nouveau piège, grâce à lui je respire enfin, je reviens au centre de mon ancienne vie, les choses reprennent la couleur qu’elles n’auraient jamais du abandonner, le coucher de soleil reprend sa place à la fin de la journée, juste au dessus de nos têtes. Alors, permets moi une seule incartade, permets moi de ne pas te mentir, ne pas te pourrir sur place, te laisser continuer à vivre.

Tu vois ? Le ciel est bleu, les oiseaux traversent le ciel et je mens.
Tu entends ? Les crissements des trains près de la gare, le cours presque imperceptible du fleuve et je mens.
Tu sens ? La sueur après l’amour, la tendre rose à tes pieds parfois et je mens, encore.

Parce qu’un seul mot ne suffit pas, parce qu’un discours ne signifie rien, j’ai menti pour exister.


D'après un texte de l'année dernière.

Mary Ann - 3 -

Je n’avale pas, je ne déglutis surtout pas. Tout ça me reste en travers de la gorge. Je sais que j’ai besoin de temps mais : combien ?

Plus tard. La colère est presque retombée. Rien ne marche aujourd’hui. Après avoir passé deux bonnes heures à la terrasse du Sorbon avec le pote de Stanley, un dénommé Tom, si excentrique et si touchant à la fois, à regarder les gens passer et à parler à tort et à travers, pour une fois, je me suis décidé pour une petite promenade en solitaire. Je ne veux pas non plus que Tom croit que je tiens plus que ça à lui, avec les garçons on ne sait jamais. Mon parcours est simple, tourner en rond pourvu que tôt ou tard j’atterrisse sur les quais de Seine pour chiner les bouquins. Trois heures de bonheur simple, immédiat, seule. Je m’achète un livre de Tzara, j’arrête un type dans la rue qui a un T Shirt adorable de Gary Numan (ainsi que bonne part de sa panoplie vestimentaire), le type se révèle être un ersatz d’ersatz mais ce n’est pas grave, c’est toujours l’occasion de voir l’effet que je fais aux parfaits inconnus. Finalement, je m’accorde un petit café allongé qui me troue littéralement l’estomac, je n’ai pas mangé à midi, pas envie, pas le temps, je crois que de ce côté-là j’ai des progrès à faire. Trois heures à ne pas sentir le temps passer et à ne pas penser à ce qui me préoccupe fondamentalement, à savoir un homme, et quel homme !

Lorsque je me décide enfin à revenir sur terre c’est pour me rendre compte que la musique qui passe dans le bar est du Bowie, encore, il s’agit de Letter to Hermione, une des très rares chansons de Bowie à se prétendre sincère, je ne peux pas m’empêcher d’avoir un pincement au cœur lorsque j’entends le poignant « but did you ever called my name, just by mistake ? ». Je suis une vraie fleur bleue dans le fond mais pas dans les actes, sensible oui, je m’en doute bien mais pas au bon moment, en décalage presque permanent, sensible à l’artifice mais sourde à mes propres sentiments. Le ciel est blanc, immensément blanc, idéal pour s’y perdre.

Mais voilà, le temps est passé si vite que je ne me suis pas rendu compte que j’étais en retard pour le concert de ce soir, l’état de légère euphorie qui était le mien laisse trop vite place à la fatigue, ce sentiment que je n’arriverais jamais à bon port. Je décide de m’activer frénétiquement comme je sais si bien le faire et d’aller plus vite que les conséquences de ma rêverie de cet après midi. C’est un peu ma spécialité je crois, aller très loin dans la direction opposée à celle qui devrait être la mienne puis faire machine arrière, « arrière toute les enfants ! », et foncer sans penser à rien. Pas de ligne de bus qui m’arrange, je fonce vers la station de RER St Michel, je verrai bien là bas, je prends le premier RER qui va dans la bonne direction, bon sang je suis vraiment en retard, cela ne me ressemble pas, je fais partie de ces gens qui n’hésitent pas à se pointer 4, voire 5 heures avant le concert afin de croiser les artistes, avant ou après le soundcheck, éventuellement négocier une ou deux places gratos pour les amis et surtout, surtout, leur voler un petit moment d’ intimité, lorsqu’ils ne sont pas obligés de jouer à la star.

Bon, la soirée s’annonce mal mais tout n’est pas perdu, j’ai un plan B.

samedi, mai 13, 2006

Mary Ann - 2 -

Tout a commencé à l’âge où tout devait commencer. Il a suffit un jour de se réveiller et de se décider que tout allait enfin commencer pour que ce souhait se réalise, sans plus de complications que cela.
Cet âge là ce sont ses 17 ans. Chiffre fétiche depuis, allez savoir pourquoi. Bref, tout un contexte. En vrac, la découverte de soi (mais pas encore de son corps, cela viendra plus tard, quatre ans plus tard pour être précis), des coups de tête répétés contre les mêmes murs ( ceux de sa chambre qui ne lui ressemble plus, ceux de son lycée de province, ancienne caserne militaire sous Napoléon ; ça ne s’invente pas !), les livres qui tombent des arbres ( René Char, Georges Perec), les garçons qui ensorcelaient absolument tous les instants de répits que lui laissaient ses études, et enfin, la terre grise, les perspectives tronquées, les piscines au bassin de 49,50 m, toute cette terre de charbon éteint qui ferait d’elle une esthète, une vraie, une originale, une fausse.
Des liens avec l’extérieur, chaque jour plus tangible, chaque jour plus âpre, le dérèglement familial, les premiers amis, Nathalie H, Isabelle B., Xavier F. , Christophe C., Fatima A., Mandana N. et enfin, l’invention d’un personnage, la future Mary Ann que l’on connaît aujourd’hui.
Un jour, au printemps ou en hiver, on se retrouve à attendre devant la classe de maths, Xavier F. a pris un walkman ce jour là, il ne la salue même pas. Il reste concentré sur ce qu’il écoute et c’est ce jour là qu’elle entend pour la première fois parler de David Bowie. Le reste n’est rien d’autre qu’une histoire pleine de paillettes à tout va et de mirrorballs hystériques, le genre d’histoire que Bryan Ferry se raconte à lui même dans le palais abandonné de Avalon. Le genre d’histoire dans lequel, on se réinvente à chaque instant et où l’on croit dur comme fer que l’on s’appelle en fait Mary Ann, et pas autrement.


A suivre


Tous les textes de la série Mary Ann sont dédiés à mon amie Mary Ann, comment pourrait il en être autrement ?

vendredi, mai 12, 2006

Vie immédiate - 0 -

Vie immédiate, fruit absolument incolore à la limite du transparent, pas d’exquise saveur là où il devrait y en avoir, pas de couleur chatoyante à refléter dans tes yeux mûrs ; fruit incolore, pêché à moitié pardonné.

Aujourd’hui, tu te baisses enfin avec le sentiment infiniment injuste que ce n’est pas à toi de te rabaisser mais il en va ainsi, de nos jours, des gitanes, des cigarettes qui n’en finissent pas de brûler. A terre, tu hésites à ramasser ce que l’on a bien voulu te laisser, les restes d’un festin sans nom. Au dessus de toi, le ciel, les étoiles mais aussi les critiques des aigris, ceux qui n’ont rien compris à la Vie Immédiate, celle qui a été la tienne, depuis toujours ai-je envie de dire mais je n’en sais rien.

C’est ton tour ma chère, vas y, ne refuse pas le droit de sourire comme une adorable idiote, le droit de prétendre et d’être en même temps, dans un même lieu que tu aurais soigneusement choisi, à l’abri ou ailleurs.

Alors oui : bonjour Vie Immédiate, adieu Tristesse, c’est mieux que rien et bien loin d’être assez pour toi.

Les dents de scie ne te font même plus mal quant à la morgue, vue au petit jour, elle prend des airs de parc à thème mais l’invitation n’est pas pour aujourd’hui, tu le savais mais tu es venue quand même, pour voir, pour tâter le terrain sablonneux de tes mains de nécromancienne. Tu laisses faire le ciel et ça ne te réussit pas si mal ou du moins on veut bien le croire. Plus question très chère de te laisser pendre de l’arbre, inconsciente et pourtant encore en vie, plus question de te laisser couler et de te raccrocher à l’approximatif. Désolé, mon vieux Léonard, cette fille là t’a échappé. La valse est finie depuis longtemps mais rares ceux sont qui s’en sont rendu compte.

Vie immédiate, prochaine sortie l’Ampurdán, immense plaine parfaitement irrationnelle, laisse toi gagner par les cyprès toujours enclins à laisser échapper une larme sur ton passage. Ampurdán, encore vaguement tectonique, retour aux origines, d’une autre personne si cela s’avère nécessaire, peu importe, tout est joué d’avance dans cette soi disant vie immédiate.


Enfin pour mon amie Céline

Vie immédiate - 2 -

Vie immédiate, déboîtée, luxée à l’âme, la boîte à vitesses ne fonctionne plus mais je continue à avancer quand même, en marche arrière s’il le faut, cahin caha , irrémédiablement porté, presque dépassé par ce qui m’attend. Le vent commande. Je vis désormais à un âge où l’on ne devrait plus parler de soi là où un silence vaut bien tous les discours et pourtant je n’arrive pas à me résigner. Le coup du sort je lui tords le cou.

La vie immédiate, à d’autres.

Vie immédiate, déboîtée au dessus des hanches, enfoncée dans le creux des coudes, ouch ça fait mal ! , vie qui ne tient plus qu’à un fil qui lâchera d’ailleurs en temps voulu. Vie à remédier, à repriser à la va vite avant que les voisins n’arrivent, en avance comme toujours.

La vie immédiate, à d’autres.

Vie immédiate, vie borgne qui regarde par-dessus ton épaule, prête à tout foutre en l’air, vie immédiate en somme, aussi immédiate que possible, pas assez immédiate à ton goût, bien sûr.
Vie à patauger sur place sans savoir à quoi ça ressemble, l’immédiat.

Vie immédiate, sac d’os qui dépasse de ton cabas, bruit infernal de ce que tu ne dois surtout pas faire mais que tu ne peux pas t’empêcher d’accomplir, destin tout tracé d’une héroïne de roman russe, à la grande période du Tsar, période d’entre deux et de piano de Ludovico Einaudi.

La vie immédiate, à d’autres que moi, cela semble inévitable, longue vie à la vie, aux longs crocs acérés qui ne semblent avoir prise que sur les gitanes et les sorcières de ton espèce.

Vie immédiate à d’autres que moi, s’il vous plaît.


Toujours pour Céline

mardi, mai 09, 2006

Vie immédiate - 3 -

Vie immédiate, telle que je ne l’avais pas imaginée.
Vie immédiate qui dans mes mains n’a jamais su l’être, immédiate, mot consommé avant qu’il ne soit entièrement prononcé, vie immédiate qui fond dans la bouche comme la barbe à papa des fêtes foraines de mon enfance.

Vie immédiate, talons aiguilles en rotation dangereuse, bas nylons après lesquels je cours depuis 1988. Après et avant, jamais pendant.

Vie immédiate, encore et toujours, passée à compter ces gouttes d’eau qui débordent du même vase que as peint hier sur un tableau au cadre alambiqué, avant de l’accrocher au mur de l’atelier de ton père.

Vie immédiate, passée à vivre sous un faux nom, dans un pays imaginaire, passée à vivre de vrais rêves. Le savais tu au moins ? N’as-tu pas été un peu prompte à me juger ?

Vie immédiate, telle que tu l’avais toujours désirée, vie absolue, belle pomme à croquer, à vendre, à soupeser délicatement et à refuser en ultime instance parce que c’est l’instant qui doit primer et pas l’idée que l’on sent fait. Ça non plus tu ne dois pas le savoir.

Vie immédiate, enfin passée loin de moi, de toi, des tiens, pour en arriver là, via crucis, mater dolorosa, plaisir immédiat, extase instantanée, toutes tes douleurs enfin exaucées et après ça, tu y crois encore ?

Toujours pour Céline

Always crashing in the same car

Très chère Jasamine,

Tu excuseras le procédé et tu pardonneras ma maladresse mais même si l’écrit n’est pas mon fort , je tiens avant tout à éviter le face à face, bête et brutal. D’où cette lettre. Déjà la première fois où je t’ai vue j’aurais pu sans mentir te dire comment tout cela allait finir. Après tout pas besoin d’être devin pour savoir qu’une fuite comme la mienne, aussi échevelée et passionnée soit elle, ne peut être que solitaire et surtout trouver sa fin comme ça : sur un autre accident.

Notre première rencontre, nous la devons aux couleurs de la nuit, un noir rouillé et usé et enfin un autre noir, celui du ciel. Car le noir est bien une couleur, n’est ce pas ?

Il faisait nuit, vraiment nuit, pas un de ces ciels étoilés qui font passer les lumières de la ville pour ce qu’elles sont vraiment, à savoir pas grand chose. Un ciel noir d’encre. Double encre noire. Et là dedans : moi. Je roulais depuis le matin et la fatigue plus un mauvais éclairage publique ont fait de nous ce que nous sommes : deux accidentés de la vie. Tu faisais marche arrière pour t’engager sur la voie principale et enfin rentrer chez toi. Deux choses que j’ignore encore complètement, d’où venais tu exactement et où habites tu ? De loin, j’aurais du entendre ne serait ce que la voix du Boss crachant un It’s hard to be a saint in the city de bon aloi. Merci Bruce, car sans toi nous serions lamentablement passé l’un à côté de l’autre, et surtout tu m’aurais entendu venir, freiner à temps et éviter la peine d’écrire cette missive.

Bien sûr je n’ai rien entendu, toi non plus. Trop concentré pour ma part à rester éveillé mais manque de chance le sommeil a été le plus fort. Pas de radio en état de marche dans ma vieille Cadillac noire. Il faut dire que le jour où je l’ai acheté elle montrait déjà de sérieux signes de faiblesse. Je me souviens parfaitement du gars qui me l’a vendu. Un certain Johnny, un type des plus antipathiques qui m’a fait froid dans le dos lorsque je lui ai demandé s’il avait des enfants. Il m’a juste dit qu’il voulait acheter une Cadillac d’un modèle plus récent. Pas commode le gars. Bref, la radio crachotait déjà et j’aurais du me douter que ses jours étaient comptés. La seule chose qui m’importait était que cette voiture fut une Cadillac noire. J’ai toujours eu des Cadillac noires. Par conséquent, pas de retransmission de matchs de baseball de la côte est. Rien. Seulement toi qui fait marche arrière à cinquante mètres de moi sans te douter que tu n’es pas prête de rentrer chez toi, pas ce jour là en tous cas.

Le feu de signalisation. J’allais oublier de le mentionner celui là. Pourtant il y était. Un beau feu, à n’en pas douter, suspendu au dessus de la route, juste avant un virage à gauche. Un feu bien seul que je ne remarque même pas. Comment pourrait il en être autrement ? J’ai légèrement fermé les yeux. Et toc. Ça y est. Je suis rentré dans ton aile droite . Pas violement heureusement sinon nous ne serions pas là. Ta voiture est déportée sur la droite. Bizarrement, ta radio continue de marcher. C’est maintenant un vieux titre qui passe avec pas mal de mandolines, une grosse voix de crooner par dessus et du pathos à la clef. Je me suis toujours surpris, et toi aussi durant nos deux semaines ensemble, à noter et retenir ce genre de détails insignifiants ; le principal m’échappant presque toujours. Tu sors de la voiture pas vraiment choquée par ce qui se passe, est ce que tu as fumé de l’herbe juste avant ? Je te regarde dans le rétroviseur et tu me plais déjà. Ma voiture n’a pas trop morflée. Je ne peux pas m’empêcher de me dire que ce n’est pas là la pire des techniques que j’ai adopté pour aborder une fille le soir. Surtout aussi charmante !

Tu es belle, je ne t’apprends rien. Plutôt petite pour le goût de certains. Petite mais ... Des yeux noisettes, une queue de cheval naïve. Rien de spectaculaire, juste une petite robe rouge et je me sens déjà à moitié loup affamé. C’est parti, sans rien prévoir je sors déjà tout un baratin de circonstances dont je me souviens à peine. Le minimum syndical de la séduction (M.S.S.) comme diraient certains. Je parle technique de drague, statistiques d’accidents de la région lorsque l’on fait une marche arrière et mille et une absurdités dont moi seul ait le secret. Tu sembles loin d’être dupe mais tu t’accordes le loisir de sourire. Tu rigoles même lorsque cela devient nécessaire. Je suis enchanté. Malgré l’heure tardive, je propose un restau. Tu me dis que tu en connais un pas loin. Nous vérifions que nos véhicules respectifs roulent encore. C’est le cas. Let’s go ! Fébrilement, comme lorsque j’avais 17 ans, je tâche de me repeigner, tant bien que mal, dans l’image que renvoie de moi le rétroviseur. Je vérifie aussi l’aspect général de mes caleçons et je décide qu’ils devraient faire l’affaire.

Le restau promis est en fait un infâme routier dont les néons agressifs ne m’attirent que très rarement. Et pourtant tout est merveilleux. Je suis drôle et tu sembles l’apprécier. Ta sensualité discrète me rend tranquillement dingue. Nous voilà pratiquement sur orbite, synchro avec un Girl From Ipanema doucement disco, le genre de truc qui d’ordinaire me fait demander l’addition vite fait et qui aujourd’hui m’ammène à parler de Stan Getz et de Astrud Gilberto. Mon dieu, tu ne connais ni l’un ni l’autre ! Tu poses cependant les bonnes questions et sur ce sujet j’en connais un rayon. Tu te rends compte que je ne t’ai pas encore dit que ma profession de base est disquaire de jazz ? Et lorsque je te demande de me pincer pour vérifier que tout cela n’est pas un rêve, tu ne trouves pas autre chose à faire que de me lancer ton verre d’eau à la figure et d’éclater de rire face à ma mine défaite. Tu es aussi dingue que moi ! Tu as fini par m’avouer que tu ne travailles plus depuis trois mois. Avant ça tu étais au Service d’Immigration, traductrice pour les chicanos et les colombiens du coin. Je ne t’ai pas encore demander quel était ton prénom, Jasamine, où tu créchais et éventuellement si tu voulais coucher avec moi ce soir.

Je ne te pose aucune des questions que m’inspirent en général les schnecks esseulées. Je vis un rêve, un truc de chevalier servant et de princesse enchanteresse. Difficile d’assumer mais ce coup ci j’ai bien l’impression d’entendre battre très distinctement mon cœur. J’oublie et je m’oublie presque. Alors pourquoi je te parle quand même de mes accidents de voiture ? Je ne peux pas m’en empêcher et je sais que ça y est, le poison est dans la pomme. Mon père obsédé par sa vieille Cadillac noire, l’accident à 5 ans, ma mère qui en meure, mon père qui en pète les plombs, qui rafistole la bagnole, ne la conduit plus, la gare dans le jardin et y passe de plus en plus de temps jusqu’à péter les plombs. Orphelin et obsédé par les Cadillac noires, je n’ai pas trop le choix. Je n’ai jamais rien eu d’autre comme marque de bagnole. Tu écoutes. Tu souries gentiment quand bien même tout est joué d’avance.

Chère Jasamine, très très chère Jasamine, j’aurais aimé que notre séparation se passe autrement. Qu’elle nous apporte au moins autant que notre première rencontre. Ce n’est pas le cas, bien évidemment car entre temps, nous avons vécu, nous avons triché et il y a eu cette putain de bagnole, un autre accident. Deux semaines de routes et de motels, sans but déclaré si ce n’est être ensemble. J’appelerais ça un sursis. Le plus beau sursis qui m’est été donné de vivre. Deux semaines d’oubli, d’abandon des formes et des manières. Comment tu appelles ça ? Amour ? Je t’en prie. Cela n’a rien à voir. Je ne pourrais jamais aimer personne.

Tu sais qu’à chaque fois que je monte dans une voiture, c’est dans une Cadillac noire, modèle sport si possible. Tu sais aussi que je ne peux pas m’en empêcher. Que quand c’est moi qui prend le volant, c’est pour appuyer à fond sur l’accélérateur. Pourquoi ? Parce que la vitesse est mon langage. Parce que ce n’est qu’à la vitesse où les zébrures jaunes sur l’asphalte semblent me chuchoter une berceuse d’un autre siècle que je suis un et indivisible, en contact avec moi même, en direct, ici et maintenant. Dans la nuit qui m’accueille en son sein, je tète comme un malade parce que je ne sais pas faire autrement.

Fini de tricher. Tu m’as aimé comme personne et donc je te quitte. Nous y voilà. Hier au soir, un zig zag de trop, mon pied soudé au plancher, la vitesse limite dépassée depuis longtemps, mes yeux qui se ferment sur ton visage livide, tes lèvres crispées sur mon nom, un morceau de free jazz sur le nouvel autoradio et mes mains qui lâchent le volant. Ça y est, toujours le même accident, toujours dans la même voiture.

Je ne reprendrai pas la route avec toi. Je n’ai pas le courage de t’embrasser une dernière fois. Si tu ne te souviens pas de moi, pardonne moi. Je démarre.

Ce texte ci est très autobiographique, les accidents ça me connaît, les accidents émotionnels aussi d’ailleurs. Always crashing in the same car fait partie de ces fatalités qu’on ne sait reconnaître qu’une fois qu’il est trop tard. Les gens meurent, les gens pètent les plombs, les gens se trahissent mutuellement ou font semblant, les gens se séparent. Tout n’est pas encore écrit de façon définitive alors je réécris tout, tous les jours depuis deux semaines, depuis novembre 2001, depuis juillet 2001 et ainsi de suite jusqu’à 1988. Qu’est ce qui fait qu’on est encore en vie ? La vie devient une drogue dont on ne peut pas se passer. A Jasamine.



(juillet 2003) D'après David Bowie, Always crashing in the same car, album Low, 1977.

lundi, mai 08, 2006

Mary Ann

Mary Ann, à genoux, ses mains retiennent sa tête d’exploser.

Elle ne pleure pas, de justesse. Elle se retient au nom de tout ce qui lui est cher. Pourtant, elle devrait. Peut être, peut être pas. Il est s’y dur de s’y résoudre et de d’admettre que l’on a envie de pleurer pour rien, si ce n’est ce déchirement sourd qui court le long de la faille intérieure. La maladie du commun, celle à laquelle personne n’échappe, tôt ou tard elle nous rattrape, la maladie du tout à l’égout, pense t’elle. Beurk. Ce n’est pas pour moi. Et bien si, il faut bien croire que je ne suis pas exempte de cette corvée là. Comment en suis-je arrivé là ?

Elle a cru feindre, jouer à la plus maligne mais elle n’a réussi qu’à se dévoiler chaque jour un peu plus aux yeux de celui qu’elle voulait captiver. Elle, dans toute sa splendeur, une mante séditieuse, une Vidocq amoureuse, aussi inexperte que faussement détachée.

Mary Ann, prostrée et oubliée quelque part sur une partition où tous ses sentiments lui semblaient n’être qu’une très longue suite de fausses notes, toutes plus épouvantables les unes que les autres, toutes aussi bon marché que les produits d’un bazar chinois de Belleville, alors que ce qu’elle était en train de vivre était peut être la plus belle chose qui lui soit jamais arriver. Qui sait ? Personne, ou bien si, une personne qui se cache pour l’instant, tout le monde en fait mais certainement pas elle.

Elle s’en mordrait les doigts si elle n’était pas aussi respectueuse de ses belles mains, s’en vouloir de lui avoir parlé cette nuit encore quatre heures durant. Elle se crèverait les yeux s’ils n’étaient pas, elle le savait bien, un de ses atouts les plus redoutables, de le trouver si beau, lui le guignol à l’emporte pièce, le charmeur de ces dames, aussi paumé qu’irrésistible.

De la fenêtre ouverte de sa chambre donnant sur le parc Montsouris, elle entendait des latinos de la Cité Universitaire voisine venus organiser un pic nic sauvage, sans doute à deux pas du kiosque en fer forgé où elle a vu l’année dernière le concert de An Pierlé. Ces bruits d’allégresse commençaient à l’irriter, par principe aurait elle dit si on lui avait demandé pourquoi, quand bien même elle aurait été incapable de préciser de quels principes il s’agissait.

Elle décida de laisser la tristesse se consumer d’elle-même. Elle écouta donc By this river, une de ses chansons favorites de Brian Eno. La voix si juste et si atonale du chanteur lui convenait parfaitement et avait le mérite de congeler l’instant le temps qu’il faudrait. C’était tout pour aujourd’hui, elle se releva et partit à la recherche de cette revue qu’elle avait achetée ce matin même avec un long article sur Diane Airbus , dans cette même revue elle avait aperçu une photo d’une baignoire. Son rêve aurait été d’avoir une baignoire modern style dans son appartement mais elle ne savait pas où on pouvait en trouver, quel prix cela pouvait représenter et surtout si cela existait vraiment.


(A suivre)

dimanche, mai 07, 2006

Vie immédiate - 1 -

Vie immédiate, vie remise à plus tard comme un réflexe conditionné, étrangement salvateur, après tout, réflexe protecteur, peur de l’éclat du soleil inquisiteur.
Vie délavée, tout juste bonne à démonter le pourquoi et le comment du mécanisme d’un artefact qui s’ignore.
Vie de plaisir en suspens, de vol à la tire, de surprises entre le premier et le deuxième étage, vie passée à se rendre et à rentrer sagement au bercail.

Vie désolée pour vous, vie à s’arracher un sourire de circonstances lorsque cela est nécessaire.
Vie pour ne pas ce que croire mort.
Vie immédiate à nouveau, pour arrêter de tricher, dérégler le compte à rebours de ce qui est déjà arrivé plus d’une fois.

Vie à se couper le cerveau en deux, à faire taire le tic tac, à s’en remettre au bon vouloir de Eluard.
Vie immédiate, là tout de suite.

A mon amie Céline.

Statue de granite

Stanley White, un soir où une statue de granite se met en marche et mène ses pas au dancefloor le plus proche.

Sur la piste de danse d’une petite boîte de province, une heure ou deux après la fin du boulot, un soir comme un autre à ne pas savoir comment cela va finir, à ne pas vouloir que la fin soit à ce point prévisible.

Sur la piste de danse je ne bouge que sur des trucs sévères, rock, indé, funk, peu importe, je fuis comme la peste tout ce qui ressemble à du mid-tempo, j’ai besoin de secouer ma vieille carcasse. Au diable les pas de danse que j’ai appris l’autre jour, je reviens toujours à la même configuration improvisée, celle que j’ai découverte par hasard un jour dans une autre boîte, ou plus exactement dans ce que les espagnols appellent « PAF », à savoir un bar qui passe de la musique et où on peut danser ; les gin tonics s’enchaînant cela devient généralement le cas. L’important dans l’affaire qui nous préoccupe ce soir, c’est bien de remuer le plus possible, que mes bras moulinent à la recherche d’un riff bien rouillé, que ma tête enfonce droit clou sur clou sur la tête d’un chanteur qui se rêve flétri mais qui se fait quand même un max de fric sur le dos de son malheur.

Autour de moi les mêmes personnes que d’habitude, les rares déglingués prêts à finir chaque soir au même endroit, mardi inclus, ce qui n’est pas un mince exploit dans cette ville de malheur. Je viens de laisser au bar mon ami Luc, apparemment très occupé à draguer une jeune étudiante de la façon la plus apocalyptique qui soit. En ce qui me concerne, je ne suis pas là pour la drague, mon cœur est pris : merci. Pourtant accompagné ou pas, une fois le moment du bilan de la journée arrivée je me sens pareil, chose pour laquelle j’ai besoin d’aller chaque fois plus vite que le temps de la réflexion.

Si au moins, j’étais une statue de granite, je pourrais m’effondrer d’un seul bloc sur la piste de danse sans avoir de me préoccuper si j’ai mal ou pas, la tête effarée ou pas des nightclubbers, toutes ces choses futiles qui me bouffent la cervelle nuit et jour. Amour des uns, amour des autres, amour de personne, tant de choix possibles et aucun ne semble valable ou plutôt applicable à mon cas.

Surtout ne pas y penser, bouger, danser, exulter, expulser ma merde aux yeux de tous, suer le malaise dans des litres de sueur versés en tribu au mouvement le plus pur, le plus sauvage.

Je me raccroche donc à ce que j’ai sous la main, les yeux résolument fermés, le crâne défoncé par la batterie, la basse qui m’arrache les bras et la voix qui me dicte mon discours amoureux, c’est là que je suis, que je me retrouve sans trop y croire, l’âme enfin retrouvée grâce à la musique, en parfait accord avec un rythme qui ne peut pas se tromper, lui ; je m’oublie un peu.

Au bar, plus tard, je demanderais presque un peu d’élixir, je reprends mon souffle, je dis bonjour, bonsoir sans trop de conviction et tâche surtout de ne pas me prendre la tête, de ne pas avoir à faire face aux conneries perpétrées la veille sinon je vais encore finir aux chiottes à chialer comme un gamin pendant qu’à côté des mecs plus malins que moi abusent des filles droguées, saoulées ou bien tout simplement consentantes.

Et me voilà de retour, de toute la soirée je n’ai réellement parlé à personne, je n’ai réellement regardé personne, je danse tel un atome trublion, incontrôlable même pour un videur qui me surveille de loin, je demande à mon cœur de soutenir une cadence qu’il ne peut pas assumer, je ne veux rien savoir de mon cœur qui va tomber en pièce, je le sais, cette soirée ne fera pas exception, je le sais, on ne réécrit pas l’histoire aussi facilement.