dimanche, mai 14, 2006

Mary Ann - 3 -

Je n’avale pas, je ne déglutis surtout pas. Tout ça me reste en travers de la gorge. Je sais que j’ai besoin de temps mais : combien ?

Plus tard. La colère est presque retombée. Rien ne marche aujourd’hui. Après avoir passé deux bonnes heures à la terrasse du Sorbon avec le pote de Stanley, un dénommé Tom, si excentrique et si touchant à la fois, à regarder les gens passer et à parler à tort et à travers, pour une fois, je me suis décidé pour une petite promenade en solitaire. Je ne veux pas non plus que Tom croit que je tiens plus que ça à lui, avec les garçons on ne sait jamais. Mon parcours est simple, tourner en rond pourvu que tôt ou tard j’atterrisse sur les quais de Seine pour chiner les bouquins. Trois heures de bonheur simple, immédiat, seule. Je m’achète un livre de Tzara, j’arrête un type dans la rue qui a un T Shirt adorable de Gary Numan (ainsi que bonne part de sa panoplie vestimentaire), le type se révèle être un ersatz d’ersatz mais ce n’est pas grave, c’est toujours l’occasion de voir l’effet que je fais aux parfaits inconnus. Finalement, je m’accorde un petit café allongé qui me troue littéralement l’estomac, je n’ai pas mangé à midi, pas envie, pas le temps, je crois que de ce côté-là j’ai des progrès à faire. Trois heures à ne pas sentir le temps passer et à ne pas penser à ce qui me préoccupe fondamentalement, à savoir un homme, et quel homme !

Lorsque je me décide enfin à revenir sur terre c’est pour me rendre compte que la musique qui passe dans le bar est du Bowie, encore, il s’agit de Letter to Hermione, une des très rares chansons de Bowie à se prétendre sincère, je ne peux pas m’empêcher d’avoir un pincement au cœur lorsque j’entends le poignant « but did you ever called my name, just by mistake ? ». Je suis une vraie fleur bleue dans le fond mais pas dans les actes, sensible oui, je m’en doute bien mais pas au bon moment, en décalage presque permanent, sensible à l’artifice mais sourde à mes propres sentiments. Le ciel est blanc, immensément blanc, idéal pour s’y perdre.

Mais voilà, le temps est passé si vite que je ne me suis pas rendu compte que j’étais en retard pour le concert de ce soir, l’état de légère euphorie qui était le mien laisse trop vite place à la fatigue, ce sentiment que je n’arriverais jamais à bon port. Je décide de m’activer frénétiquement comme je sais si bien le faire et d’aller plus vite que les conséquences de ma rêverie de cet après midi. C’est un peu ma spécialité je crois, aller très loin dans la direction opposée à celle qui devrait être la mienne puis faire machine arrière, « arrière toute les enfants ! », et foncer sans penser à rien. Pas de ligne de bus qui m’arrange, je fonce vers la station de RER St Michel, je verrai bien là bas, je prends le premier RER qui va dans la bonne direction, bon sang je suis vraiment en retard, cela ne me ressemble pas, je fais partie de ces gens qui n’hésitent pas à se pointer 4, voire 5 heures avant le concert afin de croiser les artistes, avant ou après le soundcheck, éventuellement négocier une ou deux places gratos pour les amis et surtout, surtout, leur voler un petit moment d’ intimité, lorsqu’ils ne sont pas obligés de jouer à la star.

Bon, la soirée s’annonce mal mais tout n’est pas perdu, j’ai un plan B.