dimanche, mai 07, 2006

Statue de granite

Stanley White, un soir où une statue de granite se met en marche et mène ses pas au dancefloor le plus proche.

Sur la piste de danse d’une petite boîte de province, une heure ou deux après la fin du boulot, un soir comme un autre à ne pas savoir comment cela va finir, à ne pas vouloir que la fin soit à ce point prévisible.

Sur la piste de danse je ne bouge que sur des trucs sévères, rock, indé, funk, peu importe, je fuis comme la peste tout ce qui ressemble à du mid-tempo, j’ai besoin de secouer ma vieille carcasse. Au diable les pas de danse que j’ai appris l’autre jour, je reviens toujours à la même configuration improvisée, celle que j’ai découverte par hasard un jour dans une autre boîte, ou plus exactement dans ce que les espagnols appellent « PAF », à savoir un bar qui passe de la musique et où on peut danser ; les gin tonics s’enchaînant cela devient généralement le cas. L’important dans l’affaire qui nous préoccupe ce soir, c’est bien de remuer le plus possible, que mes bras moulinent à la recherche d’un riff bien rouillé, que ma tête enfonce droit clou sur clou sur la tête d’un chanteur qui se rêve flétri mais qui se fait quand même un max de fric sur le dos de son malheur.

Autour de moi les mêmes personnes que d’habitude, les rares déglingués prêts à finir chaque soir au même endroit, mardi inclus, ce qui n’est pas un mince exploit dans cette ville de malheur. Je viens de laisser au bar mon ami Luc, apparemment très occupé à draguer une jeune étudiante de la façon la plus apocalyptique qui soit. En ce qui me concerne, je ne suis pas là pour la drague, mon cœur est pris : merci. Pourtant accompagné ou pas, une fois le moment du bilan de la journée arrivée je me sens pareil, chose pour laquelle j’ai besoin d’aller chaque fois plus vite que le temps de la réflexion.

Si au moins, j’étais une statue de granite, je pourrais m’effondrer d’un seul bloc sur la piste de danse sans avoir de me préoccuper si j’ai mal ou pas, la tête effarée ou pas des nightclubbers, toutes ces choses futiles qui me bouffent la cervelle nuit et jour. Amour des uns, amour des autres, amour de personne, tant de choix possibles et aucun ne semble valable ou plutôt applicable à mon cas.

Surtout ne pas y penser, bouger, danser, exulter, expulser ma merde aux yeux de tous, suer le malaise dans des litres de sueur versés en tribu au mouvement le plus pur, le plus sauvage.

Je me raccroche donc à ce que j’ai sous la main, les yeux résolument fermés, le crâne défoncé par la batterie, la basse qui m’arrache les bras et la voix qui me dicte mon discours amoureux, c’est là que je suis, que je me retrouve sans trop y croire, l’âme enfin retrouvée grâce à la musique, en parfait accord avec un rythme qui ne peut pas se tromper, lui ; je m’oublie un peu.

Au bar, plus tard, je demanderais presque un peu d’élixir, je reprends mon souffle, je dis bonjour, bonsoir sans trop de conviction et tâche surtout de ne pas me prendre la tête, de ne pas avoir à faire face aux conneries perpétrées la veille sinon je vais encore finir aux chiottes à chialer comme un gamin pendant qu’à côté des mecs plus malins que moi abusent des filles droguées, saoulées ou bien tout simplement consentantes.

Et me voilà de retour, de toute la soirée je n’ai réellement parlé à personne, je n’ai réellement regardé personne, je danse tel un atome trublion, incontrôlable même pour un videur qui me surveille de loin, je demande à mon cœur de soutenir une cadence qu’il ne peut pas assumer, je ne veux rien savoir de mon cœur qui va tomber en pièce, je le sais, cette soirée ne fera pas exception, je le sais, on ne réécrit pas l’histoire aussi facilement.