dimanche, avril 17, 2005

La Reine des Putes

La première fois où j’ai entendu Yaz s’accorder le titre de Reine des Putes, c’était un dimanche après midi, dans un billard quelconque où seules trois ou quatre tables étaient occupées. Très franchement, nous nous emmerdions ferme vu que notre niveau était à peu près égal, à savoir louper les coups les plus faciles et suer à grosses gouttes et réussir les coups les plus tordus. Pour être plus précis, j’ajouterais que la nuit précédente avait été plutôt longue et que la seule boisson que nous avions réussi à trouver ce matin même était un rosé de Provence qui, réellement, aurait mérité d’être servi frais. Pas de flamboyances donc, juste des considérations diverses sur les gens qui nous entouraient, des blaireaux vous vous en douterez, la soirée passée - haute en couleurs - et éventuellement les rares filles présentes dans ce malheureux bar, un dimanche après midi. Calme blanc, plat, raplapla, jusqu’à ce qu’un groupe de bouseux ne vienne s’installer juste à côté de votre table. Yaz et moi sourions entre amusement et dégoût. Ça parle foot et customisation. Yaz et moi ne sommes pourtant pas dupes, nous sommes pareils qu’eux, seuls les sujets de discussion changent et encore …

Le temps passe, Yaz et moi faisons traîner la partie parce que nous sommes fauchés. C’est là que le drame commence … Un des types d’à côté fait une remarque sur notre évidente maladresse. Je ne peux pas laisser passer ça.
- Dis donc, gros tas … Comment tu fais pour penser avec le tas de bouse qui te tient lieu de cerveau ? Franchement, au niveau scientifique cela devient intéressant … Tu es dans le Guinness ?
Le type me regarde, pas très content.
Yaz, quant à lui, ne réagit pas. Cela me surprend ? je le connais plutôt comme étant une grande gueule et les éclats verbaux ne lui font pas peur. Il me regarde et me fait un clin d’œil. Il enchaîne d’un ton très théâtral afin d’être entendu par les bouseux d’à côté.
- Dis moi, Stan. Je parie que je ne t’ai jamais dit pourquoi on m’appelle Yaz, la Reine des Putes, pas vrai ?
Sans trop savoir pourquoi, je décide de jouer le jeu et je réplique sur le même ton
- Non, très cher et d’ailleurs, il me tarde d’en savoir plus à ce sujet.
- Et bien, si tel est votre désir, voyez plutôt.
Ce qui suivit n’était pas prévu.

Sans que rien ne puisse ne l’annoncer, la salle de billard se transforma en un maelström de violence absolue et gratuite. Yaz ne perdit pas son temps à chercher à savoir avec exactitude qui s’était moqué de nous. Il prit sa queue de billard à pleines mains, en frappa le premier gugusse qui se trouvait là à la tête, puis avec la moitié restante, mit un grand coup au visage de la fille la plus proche avant d’asséner un violent coup de pieds dans les couilles d’un serveur qui faisait mine d’intervenir. Le tout en un laps de temps si bref que je ne suis pas sûr de ce que mes yeux enregistrent. Son coup d’éclat réussi, Yaz me gueule dessus « On se casse », on se met à courir, chose que je fais par réflexe, juste avant de frapper moi aussi dans le ventre un des mecs qui ne s’était pas encore relevé. Quelques pâtés de maisons plus loin, alors que personne ne semble s’être lancé à notre poursuite, nous nous arrêtons, hors d’haleine, avant de partir dans un fou rire intense, malsain à la limite du cri animal.

Sans trop réfléchir à la suite des évènements, on choppe un bus qui nous ramène dans le centre ville. On ne parle pas beaucoup. Je suis impressionné par Yaz qui semble maintenant complètement calme et détendu alors que, pour ma part, c’est maintenant que j’ai envie de tout casser. Je ne sais pas quoi dire, j’aimerais avoir du temps pour repenser à ce qui vient de se passer. Je me demande si Yaz n’a pas fait tout son petit barouf afin de m’impressionner. La violence, ce n’est pas mon truc. Il le sait. Alors ? Je suis juste un petit salaud sur ce coup là. Rien de très remarquable, quoi. Médiocre dans ses envies de flamboyance mais je sens que tout ça peut changer. Dans le silence qui dure, au fur et à mesure que nous nous rapprochons de notre arrêt, je finis par me sentir responsable de ce qui vient de se passer et à vrai dire, cela ne me dérange pas tant que ça.

Nous finissons par échouer dans le studio de Yaz, juste au dessus d’un bar où il fait parfois office de serveur. Par ailleurs, ce studio sert aussi parfois de baisodrome pour le patron du bar. Rien de bien méchant cependant. Du plancher montent les accords d’un blues bien graisseux. Beurk. Vraiment, ce dont j’ai besoin c’est d’un truc bien clean, presque calme en fait. Ça et quelque chose à me mettre sous la dent, je meurs de faim. Je m’approche du vieux poste pourri que conserve Yaz et de la pile de K7 qui y traînent. Rien de bien excitant. Et pourtant, j’en ressors une cassette miraculeusement neuve : After the goldrush de Neil Young. Je la mets. Yaz ricane bruyamment et dit : « c’est à cette conne d’Ophélie ». Je commence à comater en pensant aux seins d’Ophélie et au fait que jamais je n’aurais pensé à traiter cette fille-là de conne. Je ferme les yeux. Yaz me regarde sans rien dire. Je me demande à quoi il pense.

Le téléphone sonne. Cela doit faire un petit moment que je comate. Yaz a l’air d’être en pleine forme. Je me demande comment il fait. Il laisse passer quelques sonneries. Il m’adresse un petit sourire de connivence puis il répond. C’est Ophélie, justement. Elle veut voir Yaz. Celui-ci a mis le haut parleur du téléphone pour que je n’en perde pas une miette.

Yaz : Bon alors comme ça tu veux me voir ?
Ophélie : Ben, oui. Tu avais dit que tu passerais à cinq heures.
Je regarde ma montre. Il est sept heures pétantes. Yaz se marre en sourdine.
Yaz : Et dis moi pourquoi je viendrais te voir ?
Ophélie : …..
Yaz (en se marrant) : Il y a à boire chez toi au moins ? Et ton vieux il est là ?
Ophélie (irritée) : Ben, c’est chez lui quand même !
Yaz (froid et autoritaire) : Hé … Tu ne me parles pas comme ça. Pétasse.

Sur ce il raccroche. On fait le fond de nos poches. On a juste de quoi se payer une bouteille de rosé infâme ou de Gros Plan Nantais … Reste une solution que j’évoque, le bar d’en dessous. Je me décide quand même à aller acheter une bouteille. Pas envie de voir le patron du bar. Pendant ce temps le téléphone sonne. Yaz ne répond surtout pas. J’ai envie de mettre la zone, de refaire une connerie du même style qu’au billard. Je ne sais pas pourquoi. Je vais donc chez l’arabe du coin, je fais le tour du magasin, toujours les mêmes zonards ici. Toujours les mêmes, rien à faire. Difficile de les éviter ces mecs. A vrai dire, pas si différents que moi en fait. Je décide d'en rester là pour l'étude sociologique et je me décide pour le gros plan nantais. Je sens que je transpire l'alcool par tous les pores de la peau, je pue carrément. De mauvaise humeur et face à la perspective d'une biture de base, je décide de faucher un paquet de cacahuètes et un autre de bonbons avant de traiter le tenancier de l'épicerie de "sale juif" rapport aux prix qu'il pratique dans son épicerie , ce qui ne manque pas de le gêner, le pauvre ne sait plus où se mettre et bien sûr d'indigner la bonne conscience des branleurs qui traînent leur guêtre dans le coin. J'ai faim, je crève la dalle. Je n'ai pas mangé depuis hier midi et je commence à le ressentir. Je rentre chez Yaz. La bouteille ne fait pas long feu, je crève toujours autant la dalle et je ne sais vraiment pas quand je vais pouvoir me payer un vrai repas. Peut être dans la soirée, si on arrive à s'incruster quelque part. Yaz tient la forme, l'idée de se rendre chez Ophélie le ravit, surtout l'idée d'arriver en retard, d'ailleurs. On parle un peu, il m'explique que c'est Ophélie qui prend en charge la plupart de ses frais. Je ne le savais pas et je le lui fait remarquer.
- Je croyais que le boulot de serveur te suffisait.
- Tu rigoles ? Tu as vu tout ce que je bois ?
- Evidemment ...
On éclate de rire
- Et toi, Stan, tu le tires d'où ton fric ?
Je me garde bien de répondre.

Il est 19h45, largement temps de se mettre en route doucement pour notre rendez vous chez Ophélie. En passant devant le bar du rez de chaussée, on entend un espèce de beuglement, mi festif mi péremptoire qui ne nous fait même pas tourner la tête. C'est Terry, le patron du bar qui nous gueule dessus ... " Comment ça vous passez devant et vous ne venez pas me saluer ou boire une mousse ?" Non mais c'est quoi cette éducation ?" etc ... des conneries de patron de bar quoi. On s'arrête vite fait histoire de se faire payer une Guiness. Je n'essaye plus vraiment de discuter avec le patron. La dernière fois, c'était à propos de PJ Harvey, la chanteuse anglaise, et je me suis fait virer du bar parce que je n'étais tout simplement pas du même avis que le patron. Voilà qui donne une idée du gars et de mon sens de l'opportunisme lorsque je me fais payer un verre par un type qui quelques jours auparavant me traitait de tous les noms. Miraculeusement, mon éviction forcée et déloyale du bar avait vu l'effacement automatique de mon imposante ardoise. Enfin bon, ce type là n'est pas à une contradiction prêt. Je sais qu'il aime qu'on lui tienne tête mais de là à se prendre un coup de batte de baseball ... Je ne sais pas, Je sors les cacahuètes, Terry fait la conversation, essentiellement salace et nous sert une deuxième guiness même si j'aurais préféré une blonde.

Ce coup ci, on est vraiment en retard. C'est le but recherché. On reprend notre chemin . En passant, je fais une bise imaginaire à l'épicier qui me regarde d'un drôle d'air. Aucun humour ces arabes ! Yaz et moi éclatons de rire à sa mine dramatique. Je me sens assez euphorique. Ophélie n'a qu'à bien se tenir.
Elle habite à deux pas de la discothèque où Yaz et moi avons echoué hier soir. Mon coup de barre de tout à l'heure s'est évanoui. Par contre, je meurs toujours de faim. La poignée de cacahuètes de tout à l'heure n'a pas fait grand effet. A la hauteur du miroir d'un salon de coiffure, Yaz et moi inspectons notre aspect extérieur. Ce qui me frappe, c'est que finalement, on se ressemble pas mal. Deux grands gars, le visage plus que pâle, le corps mince et tendu perdu dans des manteaux respectivement bleu marine et noir. Je file un bonbon à Yaz car son haleine est assez inhumaine. Nous sommes prêts. Yaz sonne à l'interphone. Le ton de sa voix lorsqu'il répond est autoritaire et tranchant. Je devine déjà la tournure que vont prendre les évènements. Finalement, une fois à l'étage, c'est moi qui sonne chez Ophélie. "Que le spectacle commence !"

Ophélie ne tarde pas à ouvrir la porte. Elle est très en beauté mais la tête qu'elle fait en me voyant est plutôt éloquente. Elle semble tout simplement dégoûtée de me voir. Cette première impression est vite confirmée par un rictus involontaire au coin de sa bouche. Enfin, elle voit Yaz derrière moi et sourit enfin. Cela valait la peine d'attendre. Son sourire est divin. On rentre dans le hall. L'appart pue le fric. Je dis d'un ton goguenard :"Alors, contente de me voir ?" Cela fait rire Yaz et pas Ophélie. Yaz en profite pour la serrer contre lui et pincer très fort les seins. Ophélie grimace mais ne dit rien. Là dessus, déboule ce que je suppose être le père de Ophélie qui surprend du regard le geste équivoque de Yaz et choisit de rebrousser chemin aussi sec sans rien dire. Ophélie nous fait signe de passer dans sa chambre mais pour ma part, je les laisse y aller et je tente de trouver la cuisine.

Assez rapidement, je trouve mon chemin à travers le dédale de pièces et de couloirs que forment l'appart. Aux murs des clowns tristes de Buffet. pas très drôle tout ça. Dans la cuisine, je retrouve le père d'Ophélie en train de marmonner tout seul. Je ne lui parle pas. A quoi bon ? A la place, j'ouvre le frigo. Il est plein à raz bord de tout ce que je n'aime pas. Produits bios, jus de fruit exotiques, etc ... Pas une goutte d'alcool. Qu'est ce que c'est que cette famille ? Miraculeusement, je trouve une bouteille de rouge et avec un bout de pain, je me confectionne un sandwich de pâté de campagne. Bravo le standing. Je sens le regard du père posé sur mon épaule de façon assez peu bienveillante. Je m'en tape. Je sors de la cuisine en machouillant, la bouteille de St Joseph à la main pour rejoindre la chambre d'Ophélie. De la musique s'en échappe, Nancy Boy de Placebo, je suis fan.
J'y retrouve un Yaz et une Ophélie plutôt occupés. Elle me tourne le dos. Lui est en train de l'embrasser, une main s'activant dans son pantalon et l'autre me faisant signe de m'approcher. Je finis le sandwich sans me presser, le spectacle étant loin d'être désagréable. Comme Ophélie ne semble pas s'être rendue compte de ma présence, je continue à me faire discret puis finis par m'approcher du couple. Yaz en profite pour me chopper une main et me la coller contre les fesses d' Ophélie. Celle ci réagit au quart de tour et lui colle une sacré baffe dans la figure. Yaz éclate de rire avant de l'embrasser à nouveau. Quant à moi, je commence à être excité, je l'avoue. Je m'approche des piles de cds de Ophélie. Décidemment dans d'autres circonstances, elle et moi aurions pu parler musique tellement ses goûts coïncident avec les miens. Je profite du fait que Ophélie me tourne à nouveau le dos pour subtiliser le digipack du dernier Bowie et le fourrer dans une poche de mon manteau. Cela lui apprendra ! Yaz voit ce que je fais et se retient de rire. Finalement, ils commencent à se prendre la tête et la discussion tourne très vite à l'aigre. Je demande à Yaz à quelle heure on part ce qui a le mérite de provoquer un signe de protestation de la part de Ophélie. C'est presque trop facile.
Je m'approche de la porte comme si j'allais sortir. Yaz me suit en traînant un peu le pas, histoire de laisser le temps à Ophélie de réagir, ce qu'elle ne manque pas de faire en éclatant en sanglot. Yaz se retourne vers elle, sourie un peu , se rapproche d'elle, me fait signe de ne pas bouger, se retourne à nouveau vers elle et sans crier gare l'aggrippe par les cheveux jusqu'à lui tirer un petit cri de douleur. Sur son beau visage, je devine que les larmes ne sont pas loin. Je me demande si c'est la première fois que Yaz lui joue se genre de comédie sado maso ... Ils finissent par s'assoir sur une chaise, Ophélie prenant place sur Yaz. Elle commence assez rapidement à frotter son bas ventre contre son sexe. Je me rapproche doucement pour mieux voir. Je suis juste derrière Ophélie. Fatalement, je pose les mains sur son cou, puis je finis par caresser ses seins. Elle ne proteste pas et ,au contraire, au bout d'un laps de temps, je la devine beaucoup plus excitée. Yaz, me regarde sans rien dire. Je sens qu'il approuve secrètement. Pour ma part, je ne pense à rien si ce n'est à prendre mon plaisir là où il est. Ce que nous sommes en train de faire à cette fille, consentante ou pas vraiment, dépasse de loin tout ce que j'avais pu vivre jusqu'alors. Je ne m'étonne même pas de me sentir finalement aussi à l'aise dans le rôle du sale type. Pour moi, cette pauvre fille devait savoir très exactement ce qu'elle faisait et avec qui elle traînait. La réputation de Yas n'était plus à faire et je supposais que la mienne ne tarderait pas à se faire savoir. Voilà où j'en étais avec ma conscience lorsque je décidais de précipiter les choses en baissant d'un geste brusque l'adorable petite culotte de Ophélie. Celle ci fait mine de résister mais pas longtemps, de toutes façons, Yas lui retient les mains. Elle n'avait pas le choix, elle était à nous. Ainsi soit il.

Parfois, je dis bien parfois, il n'est pas si difficile que ça de mettre le doigt dans l'engrenage et de stopper un instant durant le cours normal des choses, les causes et les conséquences et de dire très précisement : "c'est là que tout a changé". "c'est là que tout a commencé".

Aujourd'hui Yas n'est plus de ce monde. Mais je peux très exactement vous dire quand et comment j'ai gagné mes galons de "Reine des Putes", car c'est comme ça que l'on m'appelle désormais, oui, absolument, de plus en plus souvent, avec de moins en moins d'état d'âme, tout simplement parce que cela fait du bien, que les autres ne comptent pas et que je chie sur leurs prétendus sentiments.

"Reine des Putes" depuis le jour où Yas et moi avons forcé cette fille à se livrer à nous. Reine des putes un jour, Reine des putes toujours.





note : ce texte est inspiré d'une chanson de David Bowie, je n'ai retenu que le titre qui me semble plus qu'évocateur.

Place Edouard VII, Paris.

Soirée de concert. A deux pas de la Madeleine. Je ne sais pas où se trouve exactement la salle où je dois me rendre ce soir.

Place Edouard VII ? Connais pas. Jamais entendu parler. Cela ne me pousse pas vraiment à me presser. Je traîne un peu dans le quartier, je passe devant Fauchon. Toujours aussi puant. Je compte mes cigarettes dans un rade ultra cher qui fait face à l'arrêt de métro. Je ne la sens pas cette soirée. Je suis d'humeur bloody mary mais là je vais me contenter d'un verre de rouge, "oui ça fera l'affaire". Du reste, ce n'est pas le premier de la journée. L'inauguration a eu lieu un peu plus loin, avant d'arriver à la Gare St Lazare, dans un rade corse qui ferme à cinq heures ... Bizarre. Le bar à vins qui ferme en plein milieu de l'après midi. Le serveur sert quand même à quelque chose car il finit par m'explique où se trouve la fameuse place que je cherche. Je me mets en route.

Soirée de concert. Jean Louis Murat. Une idée qui me trotte dans la tête. Une idée stupide bien entendu. Sera t'elle là ? Secret espoir de la revoir, par hasard, ou presque, en plein coeur de cette capitale où nous sommes venus si peu souvent, le soir d'un concert qu'elle aime tant.
Et pourtant ...

Difficile de tricher avec le temps. La séparation ne date pas d'hier. Pourquoi est ce que je me fourre des idées à la con comme ça alors que je vais tout simplement voir un concert ?

Le temps passe, je suis en retard. Est ce qu'il y a une première partie ? Je m'en fous. J'arrive. Personne n'est encore rentré dans la salle. Après quelques minutes passées à faire sagement la queue, je me surprends à comprendre et à mettre des mots sur ce qui m'obsède ces jours ci. Je pense à elle. C'est aussi simple que ça. Simple et terrifiant. Sans espoir, gratuit jusqu'à l'impossible mais c'est bien à elle que je pense. Ma petite fée des bois. Si jeune, si tendre, si attachante. Tout mon contraire en somme.

La place Edouard VII me fait penser à un de ces endroits touristiques mis sous verre comme ces boules que l'on vend au touriste, Montmartre, la Tour Eiffel, mis sens dessus dessous et hop la neige qui tombe. Je m'attends à ce qu'il se mette à neiger, ce qui est idiot. Il pleut mais le temps est doux. De ce genre de palce, on n'attend rien ou alors à la rigueur de servir de décor à un tableau de Delveaux, ou peut être pas. Bref. Les minutes passent. La queue ne bouge pas. Je regarde autour de moi. Le public de Murat est friqué. Une fois de plus, je me retrouve dans mon rôle de faux prolétaire, pestant contre l'argent. Je regarde les costards, les pompes de tous ces gens et je sourie. Je me demande ce qu'ils viennent faire à ce concert. Ils ont reçu des invitations ou quoi ? Non pas que les gens friqués n'aient pas le droit d'aimer la même musique que moi, mais bon, là on se croirait à une convention de chirurgiens dentistes. Je suis si sectaire parfois !!! Mais bon, j'ai l'impression que ce public là est venu pour s'assoir, applaudir et repartir vite fait à la maison. C'est décidé, je vais mettre de l'ambiance.

Tout en médisant en silence, je la cherche des yeux. En vain. Presque par vice. Pour prolonger mon état d'intranquilité. Pour passer le temps ? Je suis là et ailleurs. Place Edouard VII, Paris IXe arrondissement, si je ne m'abuse, et ailleurs, une ville de province, un appart, un miroir qui ne demande qu'à se casser. Un couple. Une rue qui grimpe vachement, rue des sablières ou un truc comme ça. Un endroit par lequel je ne suis pas passé depuis dix ans au bas mot. Et pourtant, je l'aime cette rue. Une belle rue anonyme dans une ville de province sans caractère aucun si ce n'est le GRIS. Bref. Je la cherche des yeux et je dévisage effrontement les gens qui me suivent et me précèdent. il commence à faire soif ici.

Le concert aurait du commencer depuis une bonne demi heure. Il fait quoi Jean Louis, là ?

A côté de moi, un couple qui me paraît sympathique. Elle, brune, plutôt petite, le visage très blanc, de très beaux yeux qui m'ont fixé plus d'une fois sans sourciller et un sourire immense. En ce moment, elle parle au téléphone avec un de ces ridicules pack "mains libres". On dirait vraiment qu'elle parle toute seule. Elle a l'air soucieuse. J'entends les mots "enfants", "impôts", j'en déduis qu'elle doit être au téléphone soi avec sa mère soi avec son mari et que le type qui l'accompagne est son amant. De fait, ce type là a vraiment la gueule de l'emploi. Je lui donne la trentaine ben sonnée même s'il fait jeune. Brun lui aussi, un peu voûté mais l'oeil vif, le ton acerbe et un accent du même genre que celui de Murat. Aussi acerbe que lui. Il parle des gens qui font la queue avec nous à peu près de la même façon que moi in petto. Je ne les connais pas mais je les aime bien ces deux là.

Toujours pas de nouvelles d'elle. Je cherche en vain. Comme disait Gainsbourg : "Mauvaises nouvelles des étoiles", soit dit en passant un très mauvais album mais un excellent titre de recueil de textes. Je n'ai plus de cigarettes depuis belle lurette et l'envie de clopes me prend méchament. J'ai fait exprès de ne pas acheter de nouveaux paquets. La semaine dernière j'ai clopé clope sur clope jusqu'à être à deux doigts d'en vomir. Mes yeux doivent trahir mon envie car la fille me propose une clope. On enchaîne rapidement la discussion sur Murat, les gens présents et eux mêmes. Mine de rien, je ne m'étais pas trompé, il est bien son amant et elle claironne ça avec une évidente satisfaction. Instinctivement, je me dis que j'aurais pu m'entendre à merveille avec cette femme, dans d'autres circonstances, bien sûr. Je parle disque avec le type et je me découvre un point commun avec lui : chiner les disquaires et les vieilles brocantes. On parle pendant cinq bonnes minutes de nos récentes trouvailles, un collector de Velvet Goldmine, un promo de Jane Birkin pour ma part, un truc de Ravi Shankar ou le premier album de Camille pour sa part. La fille ne dit rien, elle écoute et sourie à notre humour technicolor. Je ressens un besoin presque irrépressible de lui prendre la main mais je m'abstiens. Je ne me sens pas bien et le fait de voir un couple qui respire un certain bonheur n'arrange rien. Là aussi, sans trop réfléchir, je leur confie mes états d'âme du moment : une fille que je ne reverrai sans doute jamais et que je cherche pourtant des yeux, ce soir et d'autres aussi. De façon spontanée, la fille me prend la main sous l'oeil amusé de son amant et la serre très fort. Quelque chose de désagréable se loge au fond de ma gorge et les yeux commencent à piquer. Je vais chialer bon sang.

Je respire un bon coup et ça passe un peu. La queue commence enfin à avancer et le mouvement fait diversion, comme souvent. Nous faisons lentement le tour de la statue équestre de Edouard VII, le type qui n'a peur d'avancer fièrement avec un couvre chef des plus ridicules. Je reste silencieux. A deux doigts de me renfermer pour le reste de la soirée, de laisser tomber le concert, ce couple si sympathique et de foncer dans le premier rade ouvert et de laisser couler mes larmes de crocos. Ce que je vois devant moi, c'est le visage d'une jeune fille rousse qui avait toujours peur que je lui casse quelques os lorsque je la serrais dans mes bras.

A l'entrée, nous ne sommes pas fouillés ce qui est plutôt rare. L'intérieur du théâtre est classieux comme la façade le laissait supposer. Accompagné du couple, je me dirige à l'intérieur de la salle pour en ressortir aussitôt vers des loges plus près de la scène. Une fois délestés de nos affaires, nous allons au bar. Je paye une tournée de bordeaux. Finalement, je sens que la soirée va bien se passer.



A mon amie Anna.

Phrases 2

un jour ou l'autre, je vais tomber sur elle
au détour de cette ruelle, avec un type incroyablement beau ou moche comme
un pou. Sûrement plus près d'un pou que d'un top model, ouais. Ou toute seule, dans un improbable manteau trop long, trop longtemps oui, que l'on ne s'est pas vu, que je crève sur place d'envie de lui parler, de la faire rire ou pleurer.

un jour ou l'autre je la retrouverai avec un gamin, un des siens qu'elle aura pondu avec un crétin, un de ces jours où j'irais à un énième rendez vous galant
bien fringué, ou croyant l'être avec dans la tête un décalage, cinq étages, trente secondes sans savoir ce que je fais là.

un jour ou l'autre je risque de la revoir
elle aura changé, c'est sûr mais moi,
invariable, tenace et sur mes talons,
moi je reste le mec qui l'a quitté.

Phrases 1

Aujourd'hui je suis plus désemparé que d'ordinaire mais ce n'est pas cette
impression qui motive cette missive.
Aujourd'hui fait partie de chacun de ces jours cruels que Dieu a fait et
où j'ai envie de te dire "zut", "flûte", "tu as vu cette paire de chaussures ?",
"quel crétin ce Morrissey", "passe moi le sel", etc ...
Tout ce monde matériel aussi que je n'ai jamais accepté et qui me pendait pourtant
au nez. Toutes ces choses que je garde en moi.
Tu sais, ici, ça pue, mais ce n'est pas l'odeur qui remonte des égoûts qui m'indispose le plus, c'est l'odeur de toutes ces phrases qui pourrissent en moi faute de ne pas pouvoir les dire à quelqu'un qui saurait les écouter.
En l'occurence, tu sais qui et tu imagines peut être quelle genre de phrases.

Aujourd'hui, tous ces jours où je me réveille en cherchant un truc qui manque,
là, quelque part à portée de main; aujourd'hui tous les jours où tu m'échappes.

Je ne parle pas d'autres hommes, tu le comprends, n'est ce pas. C'est TOUT
qui me manque, la chance ratée de te connaître encore un peu.

Je ne comprends pas. L'échec de tout perdre, à ce point là ...

Les cartes, elles aussi ...

Salut les amis,
ne m'en voulez pas,
si je suis en retard ce soir,
j'étais avec quelqu'un que je ne connaissais pas
bras dessus, dessous, rencontre d'un soir.

Je ne la connaissais pas
même si elle savait qui j'étais
un hasard que je me suis cherché
entre cadeau empoisonné et cadeau empoisonné.

Un jour, un soir, des paroles
débitées sans penser mais ...
c'était sans compter
que les cartes, elles aussi avaient menti.

Un mensonge, une ivresse passagère,
sans goût, ni rupture que je n'avale pas,
ce goût immonde et délétère
d'un sourire de con ...
qui me dit "oublie moi".

Dernier soir, dernières paroles
débitées sans y penser
mais c'était sans compter
que les cartes, elles aussi avaient menti.

Salut les amis,
ne m'en voulez pas
si j'ai foutu ma vie en l'air,
j'étais avec quelqu'un qui m'aimait
bras dessus, dessous, rencontre d'un soir
et je lui ai dit "oublie moi".

Dernier soir, dernières paroles
débitées sans y penser
mais c'était sans compter
que les cartes, elles aussi avaient menti.

Love is not

Love is not. Love was here. Love is an unbearable thought. Love is a second chance. Love fills the space when nothing's left. Love is loving. Love gives you the chance to be cruel. Love is a wrong answer to the worst question. Love is not. Love is a science fiction story. Love needs permanent oblivion. Love you first. Love at low prices this week. Love is awful. Love is a thing that no one knows. Love is an entertainment trap. Love is flesh and though so pure. Love is not.

C'est une main

C’est une main vieille et usée qui t’écrit. c’est celle de tous ceux qui restent sur le pas de la porte, la main sur le bouton de la porte, se croyant invité mais ne l’étant pas vraiment.
Une autre main, celle qui s’accorche au bout de bois qui accessoirement maintient à flot le reste du corps. Cette autre main qui ne lâche pas, pur réflexe qui ne se demande pas s’il a tort ou pas.
Il y a d’autres mains, toutes aussi cruciales. Comme celle-ci qui t’écrit. Vieille et déjà usée par ce qu’elle doit écrire. Cette main qui veut prendre et ne peut pas.
Là où s'est arrêté le sillon de sa voix, je continue avec acharnement le travail d'autres inconnus, pauvres hères en haillons, je reprends le mot abandonné plus bas que terre. Le mot que se sont donnés les analphabètes du coin : Aimer.

Aimer, aimer la bête que l'on est.
Aimer, aimer être le disparu de l'hiver qui vient.
Aimer, aimer le nom que l'on a oublié d'aimer.

Aujourd'hui

Aujourd’hui, la vie continue. Pourquoi s’en étonner ? Pourquoi remettre en question l’ordre établi ?
La vie continue, un point c’est tout.
Et pourtant, aujourd’hui j’ai le regret de vous annoncer que je porte en moi le deuil de cette vie qui continue. Insensible, affreusement ridicule dans sa volonté d’aller là où personne ne l’appelle.
Et lorsqu’elle décide de s’arrêter, là non plus nous n’avons pas le choix. Il faut s’arrêter avec elle, descendre du train, prendre le temps de discuter avec son compagnon de voyage. Tout le monde descend, c’est comme ça et pas question de rouspéter.
Quelque part entre Córdoba et Carmona, là où l’ombre ne se permet pas le luxe de s’arrêter d’ordinaire, là d’où l’expression « el aliento del diablo » est sans doute née ou alors à l’orée d’une de ces forêts interminables qui jouxtent le Transsibérien. Tout le monde est là, proches et inconnus, vieilles connaissances, anciens amours et futurs compagnons, Carmiña, Xavier, Dandy … Rien de plus normal sauf qu’il manque quelqu’un. Je mets plusieurs secondes avant de m’en prendre pleinement conscience mais cela devient de plus en plus évident ; l’évidence même. L’absence prend corps et je gueule en pleurant « où est elle ? ».
La vie s’arrête mais pas pour rien semble t’elle me dire.
Un coup de sifflet retentit. C’est aussi simple que ça. Tout le monde sait ce qu’il lui reste à faire. Remonter dans le train, continuer la conversation improvisée. La machine se remet en marche dans un grincement de ferraille hideux.
A quoi bon protester ? Je fais comme les autres. Je jette un dernier coup d’œil là où nous nous sommes arrêtés et je sais déjà que je vais passer le restant de ma vie à la chercher des yeux, en vain. Autour de moi, les conversations ont repris. Bientôt on n’évoque plus la raison pour laquelle nous nous sommes arrêtés.
Je me sens déchiré, entre une envie de hurler et le souhait de m’arracher la peau. Je goûte finalement à la résignation comme d’autres contemplent la fin.
Je vis, c’est déjà trop et pas assez.