dimanche, avril 17, 2005

Place Edouard VII, Paris.

Soirée de concert. A deux pas de la Madeleine. Je ne sais pas où se trouve exactement la salle où je dois me rendre ce soir.

Place Edouard VII ? Connais pas. Jamais entendu parler. Cela ne me pousse pas vraiment à me presser. Je traîne un peu dans le quartier, je passe devant Fauchon. Toujours aussi puant. Je compte mes cigarettes dans un rade ultra cher qui fait face à l'arrêt de métro. Je ne la sens pas cette soirée. Je suis d'humeur bloody mary mais là je vais me contenter d'un verre de rouge, "oui ça fera l'affaire". Du reste, ce n'est pas le premier de la journée. L'inauguration a eu lieu un peu plus loin, avant d'arriver à la Gare St Lazare, dans un rade corse qui ferme à cinq heures ... Bizarre. Le bar à vins qui ferme en plein milieu de l'après midi. Le serveur sert quand même à quelque chose car il finit par m'explique où se trouve la fameuse place que je cherche. Je me mets en route.

Soirée de concert. Jean Louis Murat. Une idée qui me trotte dans la tête. Une idée stupide bien entendu. Sera t'elle là ? Secret espoir de la revoir, par hasard, ou presque, en plein coeur de cette capitale où nous sommes venus si peu souvent, le soir d'un concert qu'elle aime tant.
Et pourtant ...

Difficile de tricher avec le temps. La séparation ne date pas d'hier. Pourquoi est ce que je me fourre des idées à la con comme ça alors que je vais tout simplement voir un concert ?

Le temps passe, je suis en retard. Est ce qu'il y a une première partie ? Je m'en fous. J'arrive. Personne n'est encore rentré dans la salle. Après quelques minutes passées à faire sagement la queue, je me surprends à comprendre et à mettre des mots sur ce qui m'obsède ces jours ci. Je pense à elle. C'est aussi simple que ça. Simple et terrifiant. Sans espoir, gratuit jusqu'à l'impossible mais c'est bien à elle que je pense. Ma petite fée des bois. Si jeune, si tendre, si attachante. Tout mon contraire en somme.

La place Edouard VII me fait penser à un de ces endroits touristiques mis sous verre comme ces boules que l'on vend au touriste, Montmartre, la Tour Eiffel, mis sens dessus dessous et hop la neige qui tombe. Je m'attends à ce qu'il se mette à neiger, ce qui est idiot. Il pleut mais le temps est doux. De ce genre de palce, on n'attend rien ou alors à la rigueur de servir de décor à un tableau de Delveaux, ou peut être pas. Bref. Les minutes passent. La queue ne bouge pas. Je regarde autour de moi. Le public de Murat est friqué. Une fois de plus, je me retrouve dans mon rôle de faux prolétaire, pestant contre l'argent. Je regarde les costards, les pompes de tous ces gens et je sourie. Je me demande ce qu'ils viennent faire à ce concert. Ils ont reçu des invitations ou quoi ? Non pas que les gens friqués n'aient pas le droit d'aimer la même musique que moi, mais bon, là on se croirait à une convention de chirurgiens dentistes. Je suis si sectaire parfois !!! Mais bon, j'ai l'impression que ce public là est venu pour s'assoir, applaudir et repartir vite fait à la maison. C'est décidé, je vais mettre de l'ambiance.

Tout en médisant en silence, je la cherche des yeux. En vain. Presque par vice. Pour prolonger mon état d'intranquilité. Pour passer le temps ? Je suis là et ailleurs. Place Edouard VII, Paris IXe arrondissement, si je ne m'abuse, et ailleurs, une ville de province, un appart, un miroir qui ne demande qu'à se casser. Un couple. Une rue qui grimpe vachement, rue des sablières ou un truc comme ça. Un endroit par lequel je ne suis pas passé depuis dix ans au bas mot. Et pourtant, je l'aime cette rue. Une belle rue anonyme dans une ville de province sans caractère aucun si ce n'est le GRIS. Bref. Je la cherche des yeux et je dévisage effrontement les gens qui me suivent et me précèdent. il commence à faire soif ici.

Le concert aurait du commencer depuis une bonne demi heure. Il fait quoi Jean Louis, là ?

A côté de moi, un couple qui me paraît sympathique. Elle, brune, plutôt petite, le visage très blanc, de très beaux yeux qui m'ont fixé plus d'une fois sans sourciller et un sourire immense. En ce moment, elle parle au téléphone avec un de ces ridicules pack "mains libres". On dirait vraiment qu'elle parle toute seule. Elle a l'air soucieuse. J'entends les mots "enfants", "impôts", j'en déduis qu'elle doit être au téléphone soi avec sa mère soi avec son mari et que le type qui l'accompagne est son amant. De fait, ce type là a vraiment la gueule de l'emploi. Je lui donne la trentaine ben sonnée même s'il fait jeune. Brun lui aussi, un peu voûté mais l'oeil vif, le ton acerbe et un accent du même genre que celui de Murat. Aussi acerbe que lui. Il parle des gens qui font la queue avec nous à peu près de la même façon que moi in petto. Je ne les connais pas mais je les aime bien ces deux là.

Toujours pas de nouvelles d'elle. Je cherche en vain. Comme disait Gainsbourg : "Mauvaises nouvelles des étoiles", soit dit en passant un très mauvais album mais un excellent titre de recueil de textes. Je n'ai plus de cigarettes depuis belle lurette et l'envie de clopes me prend méchament. J'ai fait exprès de ne pas acheter de nouveaux paquets. La semaine dernière j'ai clopé clope sur clope jusqu'à être à deux doigts d'en vomir. Mes yeux doivent trahir mon envie car la fille me propose une clope. On enchaîne rapidement la discussion sur Murat, les gens présents et eux mêmes. Mine de rien, je ne m'étais pas trompé, il est bien son amant et elle claironne ça avec une évidente satisfaction. Instinctivement, je me dis que j'aurais pu m'entendre à merveille avec cette femme, dans d'autres circonstances, bien sûr. Je parle disque avec le type et je me découvre un point commun avec lui : chiner les disquaires et les vieilles brocantes. On parle pendant cinq bonnes minutes de nos récentes trouvailles, un collector de Velvet Goldmine, un promo de Jane Birkin pour ma part, un truc de Ravi Shankar ou le premier album de Camille pour sa part. La fille ne dit rien, elle écoute et sourie à notre humour technicolor. Je ressens un besoin presque irrépressible de lui prendre la main mais je m'abstiens. Je ne me sens pas bien et le fait de voir un couple qui respire un certain bonheur n'arrange rien. Là aussi, sans trop réfléchir, je leur confie mes états d'âme du moment : une fille que je ne reverrai sans doute jamais et que je cherche pourtant des yeux, ce soir et d'autres aussi. De façon spontanée, la fille me prend la main sous l'oeil amusé de son amant et la serre très fort. Quelque chose de désagréable se loge au fond de ma gorge et les yeux commencent à piquer. Je vais chialer bon sang.

Je respire un bon coup et ça passe un peu. La queue commence enfin à avancer et le mouvement fait diversion, comme souvent. Nous faisons lentement le tour de la statue équestre de Edouard VII, le type qui n'a peur d'avancer fièrement avec un couvre chef des plus ridicules. Je reste silencieux. A deux doigts de me renfermer pour le reste de la soirée, de laisser tomber le concert, ce couple si sympathique et de foncer dans le premier rade ouvert et de laisser couler mes larmes de crocos. Ce que je vois devant moi, c'est le visage d'une jeune fille rousse qui avait toujours peur que je lui casse quelques os lorsque je la serrais dans mes bras.

A l'entrée, nous ne sommes pas fouillés ce qui est plutôt rare. L'intérieur du théâtre est classieux comme la façade le laissait supposer. Accompagné du couple, je me dirige à l'intérieur de la salle pour en ressortir aussitôt vers des loges plus près de la scène. Une fois délestés de nos affaires, nous allons au bar. Je paye une tournée de bordeaux. Finalement, je sens que la soirée va bien se passer.



A mon amie Anna.