dimanche, avril 17, 2005

La Reine des Putes

La première fois où j’ai entendu Yaz s’accorder le titre de Reine des Putes, c’était un dimanche après midi, dans un billard quelconque où seules trois ou quatre tables étaient occupées. Très franchement, nous nous emmerdions ferme vu que notre niveau était à peu près égal, à savoir louper les coups les plus faciles et suer à grosses gouttes et réussir les coups les plus tordus. Pour être plus précis, j’ajouterais que la nuit précédente avait été plutôt longue et que la seule boisson que nous avions réussi à trouver ce matin même était un rosé de Provence qui, réellement, aurait mérité d’être servi frais. Pas de flamboyances donc, juste des considérations diverses sur les gens qui nous entouraient, des blaireaux vous vous en douterez, la soirée passée - haute en couleurs - et éventuellement les rares filles présentes dans ce malheureux bar, un dimanche après midi. Calme blanc, plat, raplapla, jusqu’à ce qu’un groupe de bouseux ne vienne s’installer juste à côté de votre table. Yaz et moi sourions entre amusement et dégoût. Ça parle foot et customisation. Yaz et moi ne sommes pourtant pas dupes, nous sommes pareils qu’eux, seuls les sujets de discussion changent et encore …

Le temps passe, Yaz et moi faisons traîner la partie parce que nous sommes fauchés. C’est là que le drame commence … Un des types d’à côté fait une remarque sur notre évidente maladresse. Je ne peux pas laisser passer ça.
- Dis donc, gros tas … Comment tu fais pour penser avec le tas de bouse qui te tient lieu de cerveau ? Franchement, au niveau scientifique cela devient intéressant … Tu es dans le Guinness ?
Le type me regarde, pas très content.
Yaz, quant à lui, ne réagit pas. Cela me surprend ? je le connais plutôt comme étant une grande gueule et les éclats verbaux ne lui font pas peur. Il me regarde et me fait un clin d’œil. Il enchaîne d’un ton très théâtral afin d’être entendu par les bouseux d’à côté.
- Dis moi, Stan. Je parie que je ne t’ai jamais dit pourquoi on m’appelle Yaz, la Reine des Putes, pas vrai ?
Sans trop savoir pourquoi, je décide de jouer le jeu et je réplique sur le même ton
- Non, très cher et d’ailleurs, il me tarde d’en savoir plus à ce sujet.
- Et bien, si tel est votre désir, voyez plutôt.
Ce qui suivit n’était pas prévu.

Sans que rien ne puisse ne l’annoncer, la salle de billard se transforma en un maelström de violence absolue et gratuite. Yaz ne perdit pas son temps à chercher à savoir avec exactitude qui s’était moqué de nous. Il prit sa queue de billard à pleines mains, en frappa le premier gugusse qui se trouvait là à la tête, puis avec la moitié restante, mit un grand coup au visage de la fille la plus proche avant d’asséner un violent coup de pieds dans les couilles d’un serveur qui faisait mine d’intervenir. Le tout en un laps de temps si bref que je ne suis pas sûr de ce que mes yeux enregistrent. Son coup d’éclat réussi, Yaz me gueule dessus « On se casse », on se met à courir, chose que je fais par réflexe, juste avant de frapper moi aussi dans le ventre un des mecs qui ne s’était pas encore relevé. Quelques pâtés de maisons plus loin, alors que personne ne semble s’être lancé à notre poursuite, nous nous arrêtons, hors d’haleine, avant de partir dans un fou rire intense, malsain à la limite du cri animal.

Sans trop réfléchir à la suite des évènements, on choppe un bus qui nous ramène dans le centre ville. On ne parle pas beaucoup. Je suis impressionné par Yaz qui semble maintenant complètement calme et détendu alors que, pour ma part, c’est maintenant que j’ai envie de tout casser. Je ne sais pas quoi dire, j’aimerais avoir du temps pour repenser à ce qui vient de se passer. Je me demande si Yaz n’a pas fait tout son petit barouf afin de m’impressionner. La violence, ce n’est pas mon truc. Il le sait. Alors ? Je suis juste un petit salaud sur ce coup là. Rien de très remarquable, quoi. Médiocre dans ses envies de flamboyance mais je sens que tout ça peut changer. Dans le silence qui dure, au fur et à mesure que nous nous rapprochons de notre arrêt, je finis par me sentir responsable de ce qui vient de se passer et à vrai dire, cela ne me dérange pas tant que ça.

Nous finissons par échouer dans le studio de Yaz, juste au dessus d’un bar où il fait parfois office de serveur. Par ailleurs, ce studio sert aussi parfois de baisodrome pour le patron du bar. Rien de bien méchant cependant. Du plancher montent les accords d’un blues bien graisseux. Beurk. Vraiment, ce dont j’ai besoin c’est d’un truc bien clean, presque calme en fait. Ça et quelque chose à me mettre sous la dent, je meurs de faim. Je m’approche du vieux poste pourri que conserve Yaz et de la pile de K7 qui y traînent. Rien de bien excitant. Et pourtant, j’en ressors une cassette miraculeusement neuve : After the goldrush de Neil Young. Je la mets. Yaz ricane bruyamment et dit : « c’est à cette conne d’Ophélie ». Je commence à comater en pensant aux seins d’Ophélie et au fait que jamais je n’aurais pensé à traiter cette fille-là de conne. Je ferme les yeux. Yaz me regarde sans rien dire. Je me demande à quoi il pense.

Le téléphone sonne. Cela doit faire un petit moment que je comate. Yaz a l’air d’être en pleine forme. Je me demande comment il fait. Il laisse passer quelques sonneries. Il m’adresse un petit sourire de connivence puis il répond. C’est Ophélie, justement. Elle veut voir Yaz. Celui-ci a mis le haut parleur du téléphone pour que je n’en perde pas une miette.

Yaz : Bon alors comme ça tu veux me voir ?
Ophélie : Ben, oui. Tu avais dit que tu passerais à cinq heures.
Je regarde ma montre. Il est sept heures pétantes. Yaz se marre en sourdine.
Yaz : Et dis moi pourquoi je viendrais te voir ?
Ophélie : …..
Yaz (en se marrant) : Il y a à boire chez toi au moins ? Et ton vieux il est là ?
Ophélie (irritée) : Ben, c’est chez lui quand même !
Yaz (froid et autoritaire) : Hé … Tu ne me parles pas comme ça. Pétasse.

Sur ce il raccroche. On fait le fond de nos poches. On a juste de quoi se payer une bouteille de rosé infâme ou de Gros Plan Nantais … Reste une solution que j’évoque, le bar d’en dessous. Je me décide quand même à aller acheter une bouteille. Pas envie de voir le patron du bar. Pendant ce temps le téléphone sonne. Yaz ne répond surtout pas. J’ai envie de mettre la zone, de refaire une connerie du même style qu’au billard. Je ne sais pas pourquoi. Je vais donc chez l’arabe du coin, je fais le tour du magasin, toujours les mêmes zonards ici. Toujours les mêmes, rien à faire. Difficile de les éviter ces mecs. A vrai dire, pas si différents que moi en fait. Je décide d'en rester là pour l'étude sociologique et je me décide pour le gros plan nantais. Je sens que je transpire l'alcool par tous les pores de la peau, je pue carrément. De mauvaise humeur et face à la perspective d'une biture de base, je décide de faucher un paquet de cacahuètes et un autre de bonbons avant de traiter le tenancier de l'épicerie de "sale juif" rapport aux prix qu'il pratique dans son épicerie , ce qui ne manque pas de le gêner, le pauvre ne sait plus où se mettre et bien sûr d'indigner la bonne conscience des branleurs qui traînent leur guêtre dans le coin. J'ai faim, je crève la dalle. Je n'ai pas mangé depuis hier midi et je commence à le ressentir. Je rentre chez Yaz. La bouteille ne fait pas long feu, je crève toujours autant la dalle et je ne sais vraiment pas quand je vais pouvoir me payer un vrai repas. Peut être dans la soirée, si on arrive à s'incruster quelque part. Yaz tient la forme, l'idée de se rendre chez Ophélie le ravit, surtout l'idée d'arriver en retard, d'ailleurs. On parle un peu, il m'explique que c'est Ophélie qui prend en charge la plupart de ses frais. Je ne le savais pas et je le lui fait remarquer.
- Je croyais que le boulot de serveur te suffisait.
- Tu rigoles ? Tu as vu tout ce que je bois ?
- Evidemment ...
On éclate de rire
- Et toi, Stan, tu le tires d'où ton fric ?
Je me garde bien de répondre.

Il est 19h45, largement temps de se mettre en route doucement pour notre rendez vous chez Ophélie. En passant devant le bar du rez de chaussée, on entend un espèce de beuglement, mi festif mi péremptoire qui ne nous fait même pas tourner la tête. C'est Terry, le patron du bar qui nous gueule dessus ... " Comment ça vous passez devant et vous ne venez pas me saluer ou boire une mousse ?" Non mais c'est quoi cette éducation ?" etc ... des conneries de patron de bar quoi. On s'arrête vite fait histoire de se faire payer une Guiness. Je n'essaye plus vraiment de discuter avec le patron. La dernière fois, c'était à propos de PJ Harvey, la chanteuse anglaise, et je me suis fait virer du bar parce que je n'étais tout simplement pas du même avis que le patron. Voilà qui donne une idée du gars et de mon sens de l'opportunisme lorsque je me fais payer un verre par un type qui quelques jours auparavant me traitait de tous les noms. Miraculeusement, mon éviction forcée et déloyale du bar avait vu l'effacement automatique de mon imposante ardoise. Enfin bon, ce type là n'est pas à une contradiction prêt. Je sais qu'il aime qu'on lui tienne tête mais de là à se prendre un coup de batte de baseball ... Je ne sais pas, Je sors les cacahuètes, Terry fait la conversation, essentiellement salace et nous sert une deuxième guiness même si j'aurais préféré une blonde.

Ce coup ci, on est vraiment en retard. C'est le but recherché. On reprend notre chemin . En passant, je fais une bise imaginaire à l'épicier qui me regarde d'un drôle d'air. Aucun humour ces arabes ! Yaz et moi éclatons de rire à sa mine dramatique. Je me sens assez euphorique. Ophélie n'a qu'à bien se tenir.
Elle habite à deux pas de la discothèque où Yaz et moi avons echoué hier soir. Mon coup de barre de tout à l'heure s'est évanoui. Par contre, je meurs toujours de faim. La poignée de cacahuètes de tout à l'heure n'a pas fait grand effet. A la hauteur du miroir d'un salon de coiffure, Yaz et moi inspectons notre aspect extérieur. Ce qui me frappe, c'est que finalement, on se ressemble pas mal. Deux grands gars, le visage plus que pâle, le corps mince et tendu perdu dans des manteaux respectivement bleu marine et noir. Je file un bonbon à Yaz car son haleine est assez inhumaine. Nous sommes prêts. Yaz sonne à l'interphone. Le ton de sa voix lorsqu'il répond est autoritaire et tranchant. Je devine déjà la tournure que vont prendre les évènements. Finalement, une fois à l'étage, c'est moi qui sonne chez Ophélie. "Que le spectacle commence !"

Ophélie ne tarde pas à ouvrir la porte. Elle est très en beauté mais la tête qu'elle fait en me voyant est plutôt éloquente. Elle semble tout simplement dégoûtée de me voir. Cette première impression est vite confirmée par un rictus involontaire au coin de sa bouche. Enfin, elle voit Yaz derrière moi et sourit enfin. Cela valait la peine d'attendre. Son sourire est divin. On rentre dans le hall. L'appart pue le fric. Je dis d'un ton goguenard :"Alors, contente de me voir ?" Cela fait rire Yaz et pas Ophélie. Yaz en profite pour la serrer contre lui et pincer très fort les seins. Ophélie grimace mais ne dit rien. Là dessus, déboule ce que je suppose être le père de Ophélie qui surprend du regard le geste équivoque de Yaz et choisit de rebrousser chemin aussi sec sans rien dire. Ophélie nous fait signe de passer dans sa chambre mais pour ma part, je les laisse y aller et je tente de trouver la cuisine.

Assez rapidement, je trouve mon chemin à travers le dédale de pièces et de couloirs que forment l'appart. Aux murs des clowns tristes de Buffet. pas très drôle tout ça. Dans la cuisine, je retrouve le père d'Ophélie en train de marmonner tout seul. Je ne lui parle pas. A quoi bon ? A la place, j'ouvre le frigo. Il est plein à raz bord de tout ce que je n'aime pas. Produits bios, jus de fruit exotiques, etc ... Pas une goutte d'alcool. Qu'est ce que c'est que cette famille ? Miraculeusement, je trouve une bouteille de rouge et avec un bout de pain, je me confectionne un sandwich de pâté de campagne. Bravo le standing. Je sens le regard du père posé sur mon épaule de façon assez peu bienveillante. Je m'en tape. Je sors de la cuisine en machouillant, la bouteille de St Joseph à la main pour rejoindre la chambre d'Ophélie. De la musique s'en échappe, Nancy Boy de Placebo, je suis fan.
J'y retrouve un Yaz et une Ophélie plutôt occupés. Elle me tourne le dos. Lui est en train de l'embrasser, une main s'activant dans son pantalon et l'autre me faisant signe de m'approcher. Je finis le sandwich sans me presser, le spectacle étant loin d'être désagréable. Comme Ophélie ne semble pas s'être rendue compte de ma présence, je continue à me faire discret puis finis par m'approcher du couple. Yaz en profite pour me chopper une main et me la coller contre les fesses d' Ophélie. Celle ci réagit au quart de tour et lui colle une sacré baffe dans la figure. Yaz éclate de rire avant de l'embrasser à nouveau. Quant à moi, je commence à être excité, je l'avoue. Je m'approche des piles de cds de Ophélie. Décidemment dans d'autres circonstances, elle et moi aurions pu parler musique tellement ses goûts coïncident avec les miens. Je profite du fait que Ophélie me tourne à nouveau le dos pour subtiliser le digipack du dernier Bowie et le fourrer dans une poche de mon manteau. Cela lui apprendra ! Yaz voit ce que je fais et se retient de rire. Finalement, ils commencent à se prendre la tête et la discussion tourne très vite à l'aigre. Je demande à Yaz à quelle heure on part ce qui a le mérite de provoquer un signe de protestation de la part de Ophélie. C'est presque trop facile.
Je m'approche de la porte comme si j'allais sortir. Yaz me suit en traînant un peu le pas, histoire de laisser le temps à Ophélie de réagir, ce qu'elle ne manque pas de faire en éclatant en sanglot. Yaz se retourne vers elle, sourie un peu , se rapproche d'elle, me fait signe de ne pas bouger, se retourne à nouveau vers elle et sans crier gare l'aggrippe par les cheveux jusqu'à lui tirer un petit cri de douleur. Sur son beau visage, je devine que les larmes ne sont pas loin. Je me demande si c'est la première fois que Yaz lui joue se genre de comédie sado maso ... Ils finissent par s'assoir sur une chaise, Ophélie prenant place sur Yaz. Elle commence assez rapidement à frotter son bas ventre contre son sexe. Je me rapproche doucement pour mieux voir. Je suis juste derrière Ophélie. Fatalement, je pose les mains sur son cou, puis je finis par caresser ses seins. Elle ne proteste pas et ,au contraire, au bout d'un laps de temps, je la devine beaucoup plus excitée. Yaz, me regarde sans rien dire. Je sens qu'il approuve secrètement. Pour ma part, je ne pense à rien si ce n'est à prendre mon plaisir là où il est. Ce que nous sommes en train de faire à cette fille, consentante ou pas vraiment, dépasse de loin tout ce que j'avais pu vivre jusqu'alors. Je ne m'étonne même pas de me sentir finalement aussi à l'aise dans le rôle du sale type. Pour moi, cette pauvre fille devait savoir très exactement ce qu'elle faisait et avec qui elle traînait. La réputation de Yas n'était plus à faire et je supposais que la mienne ne tarderait pas à se faire savoir. Voilà où j'en étais avec ma conscience lorsque je décidais de précipiter les choses en baissant d'un geste brusque l'adorable petite culotte de Ophélie. Celle ci fait mine de résister mais pas longtemps, de toutes façons, Yas lui retient les mains. Elle n'avait pas le choix, elle était à nous. Ainsi soit il.

Parfois, je dis bien parfois, il n'est pas si difficile que ça de mettre le doigt dans l'engrenage et de stopper un instant durant le cours normal des choses, les causes et les conséquences et de dire très précisement : "c'est là que tout a changé". "c'est là que tout a commencé".

Aujourd'hui Yas n'est plus de ce monde. Mais je peux très exactement vous dire quand et comment j'ai gagné mes galons de "Reine des Putes", car c'est comme ça que l'on m'appelle désormais, oui, absolument, de plus en plus souvent, avec de moins en moins d'état d'âme, tout simplement parce que cela fait du bien, que les autres ne comptent pas et que je chie sur leurs prétendus sentiments.

"Reine des Putes" depuis le jour où Yas et moi avons forcé cette fille à se livrer à nous. Reine des putes un jour, Reine des putes toujours.





note : ce texte est inspiré d'une chanson de David Bowie, je n'ai retenu que le titre qui me semble plus qu'évocateur.