dimanche, juillet 12, 2009

Parce que

Parce que

Vladimir était plutôt le genre de garçon qui se laissait fatalement gagner par l’émotion occasionnelle. Par exemple, se lever du lit, appuyer sur la touche « random » de son lecteur MP3 branché à la chaîne hi-fi et surtout, adopter immédiatement l’humeur de la chanson qui se faisait entendre à cet instant là. Ce n’était pas une question d’inertie, juste un état de disponibilité poussé à l’extrême. Vladimir était ouvert, une girouette qui n’arrêtait pas de tourner autour d’un sentiment qu’il ne voulait surtout pas toucher lui-même du doigt. Ce qu’il ignorait sciemment, c’est que depuis un certain nombre d’années sa vie ne tenait plus qu’à un fil. Cette musique qui, chaque matin, avait le don d’être à la fois sa volonté et son désir de vivre, qu’importe le flacon, seule importait la partition à travers laquelle il devait se mouvoir.

Ce jour là, son doigt en appuyant comme d’ordinaire sur la touche « random », un léger accord de violon annonça la chanson Parce que de Charles Aznavour. Et il en fut ainsi.

Aux premières notes qui retentissaient, à l’amorce de la voix qui disait déjà : « Parce que t'as les yeux bleus », il se leva d’un bond pour arrêter la musique mais sa volonté fut de courte durée et il se résigna bien vite. Cette journée serait donc la conséquence directe d’une certaine intonation de la voix, d’un léger contretemps du piano.

Parce qu’il ne pouvait en être autrement. Parce que c’était la chanson favorite de Virginie. Aujourd’hui, il ne sortirait pas. Il tira les persiennes, se recroquevilla dans son lit et laissa enfin affluer les souvenirs.

La scène de séparation, si réelle, telle qu’il ne l’avait pas vue depuis si longtemps. Virginie, jeune et jolie, pour faire cliché, terrible et exigeante, pour dire la vérité. Tout se joue aujourd’hui.

Tiens, la radio passe « Parce que », ce n’est pas ta chanson favorite, par hasard ?

Pas de réponse.

Le jeune Vlad prêt à lâcher le boulot qu’il adore, prêt à aller s’enterrer dans la Creuse parce qu’elle le désire. Le jeune Vlad attentif à tous ses gestes, prêt à se courber jusqu’à briser ce qui le maintient encore debout ; son amour. Mais, elle, ne dit rien, ne le regarde pas non plus. Elle continue à fixer son café, froid, sans doute, depuis quelque temps déjà. Lui, encore, tentant à tous prix de ne pas interpréter ce silence et surtout pas de ne pas prêter attention à ce satané Aznavour qui dit des choses comme : « Car la mort n'est qu'un jeu comparée à l'amour et la vie n'est plus rien sans l'amour qu'elle nous donne ».

Elle, qui relève enfin la tête, ses cheveux blonds, ses délicats yeux bleus, si durs pourtant et comme seule réponse un long soupir à travers des lèvres qu’il n’embrassera jamais plus. Elle, qui se lève et qui part.

Parce que rien de tout ceci n’a de sens, parce qu’il sait qu’il ne s’en remettra jamais vraiment. Il ne se lève pas, il ne court pas derrière elle tentant d’invoquer un nouvel argument afin de la retenir.

Parce qu’après tout, il préférait peut être se tenir là, toute sa vie durant, au seuil d’un amour éternel que lui promettrait sans cesse une certaine chanson qu’il aurait préféré ne pas écouter ce matin là.

Parce que.