mardi, juillet 14, 2009

Musique à usage personnel : Orpheus par David Sylvian

Le type rappelle. Il ne se donne même pas la peine de répondre. Hier, il a vendu dans une friperie du centre ville une très belle chemise d’un grand couturier qu’on lui avait offert pour un quelconque anniversaire. Il a réussi à en tirer un prix correct et avec l’argent il s’est empressé d’aller acheter des disques. Cela ne remplace pas tout, évidemment, mais la plupart du temps … avec un peu d’accoutumance, à l’aide de gestes qui se répètent sans cesse, de choix et impositions, d’acceptations forcées, il arrive à se persuader que tout s’arrête aux portes de son salon, que rien ne sort, que rien ne rentre et que la musique et lui se suffisent à eux-mêmes.

C’est à n’y rien comprendre mais il n’y a rien à comprendre. C’est ainsi. Il existe des lieux et certains moments que je qualifierai de privilégiés où le cours de l’existence n’a plus lieu d’être. La plupart du temps, il suffit de fixer un point du mur avec suffisamment d’intensité, de ne plus le lâcher du regard pendant de longues minutes et de laisser faire la musique, de laisser les portées de notes prendre place dans les trachées, de laisser la mélodie dicter sa règle aux battements du cœur et puis surtout de s’approprier le chant et d’en faire son propre discours. Il en est ainsi.

C’est ainsi qu’il s’absorbe dans ce qui lui est sans doute le plus précieux : l’immatériel, l’impalpable. De là, il n’en ressort jamais la même chose quand bien même le rituel est immuable. Les pensées se bousculent dans sa tête mais n’ont plus le droit de citer. Les sentiments prennent rapidement le dessus. Peu à peu, ils emplissent toute la pièce, il n’y a plus là aucun interstice pour quoique ce soit d’autre. S’il en vient à fermer les yeux, les visages deviennent des couleurs, les sons des prénoms oubliés, un refrain à peine esquissé une confession trop vite exaucée … La vie toute entière perd sa forme première et il retrouve enfin en lui l’étincelle première, un vœu dissimulé aux yeux de tous, une volonté qui ferait de lui le maître de son monde ; l’étincelle qui dictera la marche à suivre les jours suivants.

Le disque s’arrête. Il se lève comme un somnambule, tourne le vinyle et met la face B juste avant que le téléphone ne se remette à sonner.