samedi, novembre 25, 2006

Cher Joris

30 septembre 2006

Cher Joris,

je t'écris ce soir sans réel espoir de pouvoir faire quoique ce soit mais si je n'écris pas,
je sers à quoi ? Je ferais sans doute mieux de m'abstenir mais ce serait mentir à celui qui m'a arraché des larmes tout à l'heure, tu sais, j'en suis encore à me persuader que c'était les deux verres de Merlot que j'avais bu juste avant, tu vois, où j'en suis.

Ma seule chance c'est ça, les mots, les mensonges à moitié assumés, les vérités pas toujours bonnes à dire. Sentir et ressentir le vide de la même façon que d'autres respirent ou se lèvent le matin avec l'assurance d'y être, dans la bulle de leur "ici et maintenant", le sentiment sans doute de ne pas se tromper, de surtout ne pas se tromper, en fait, de se mentir tranquillement pour que personne ne souffre.

Mais il n'en va pas ainsi. Ce serait faire déshonneur aux aspérités qui nous déforment monstrueusement, parfois, qui font de nous ce que l'on pourrait appeler des humains.

Le processus est difficile. Surtout pour ceux qui ignorent la Vie Immédiate, toutes ces choses à portée de mains mais qui ne valent sans doute pas la peine que l'on se baisse pour les ramasser.

Alors, on s'effondre sans bruit, sans que personne ne s'en aperçoive, on prie pour se rappeler le texte que l'on devait dire, on prie pour bien répondre lorsque l'on s'adresse à nous par notre prénom, on prie pour rien et son contraire et puis on oublie de prier, on flotte sans doute, on a un bout de bois informe, qui ne ressemble sans doute pas à l'idée que l'on se fait d'une vie, mais on se raccroche parce qu'il en est ainsi.

Sortir dans la rue, tourner à droite ou à gauche, tourner en rond, rentrer à la maison, remettre ça à plus tard.

Cher Joris, je ne sais pas ce qui t'arrive vraiment, nous sommes tous si différents, je sais juste que c'est flippant de ne pas savoir pourquoi on en est là. On ne peut pas quand même pas accepter de s'en remettre au bon vouloir d'un je ne sais quoi pour perdre le goût de tout. Cela fait trois ans que chaque hiver, j'en passe par là, de façon plus ou moins marqué mais toujours avec la certitude absolue et absurde que cela va passer. Non pas parce que je sois bien soigné ou parce que j'ai des amis formidables, non, c'est là, planqué en moi et invariablement il arrive un moment où je ne me reconnais plus et où tout est filtré, flou et sans saveur.

Je sais que la vie immédiate ce n'est pas pour moi, je suis définitivement en différé mais la plupart du temps la retransmission n'est pas si mal.

Avec toute mon amitié