samedi, juin 02, 2007

Paul est un fantôme : je suis un fantôme -1-

On parle bien trop souvent à mon goût de se rendre aux évidences comme s'il s'agissait là de la chose la plus simple au monde. Tu comprendras que je ne peux pas être d'accord. Je ne pourrais jamais l'être et je me demande d'ailleurs comment on fait semblant de se plier à cette non évidence.

Que ce soit la mort, l'absence ou bien la séparation, je n'accepte rien. Même aujourd'hui, du plus profond de ce linceul blanc, je refuse de reconnaître ce qu'ont été mes torts. Les yeux vides, déjà, le choix d'un désir banni. Tout cela et le reste passera à l'histoire comme si de rien n'était; et pourtant, c'est de moi qu'il s'agit ! Mon visage s'estompe déjà pour la plupart d'entre vous, quand bien même votre vie a été la mienne. Qu'y puis je ? Rien. Et c'est tant mieux. L'oubli est mon nouveau visage, l'absence ma nouvelle carte de visite. Le désir de durer m'est devenu étranger. . .

Mais que suis je donc devenu ? Le contraire d'une défaite.

Une seule pensée me revient à la mémoire aujourd'hui. Si tu l'avais vraiment désiré, je ne serais pas là, pas ici, pas dans ce nulle part approximatif. Et pourtant ...

Paul est un fantôme, je suis un fantôme. Commencer à parler de cet état des choses n'est pas chose courante. Je me regarde dans un miroir. Je vois un fantôme. Pourtant, suis-je évanescent ? Non. Suis-je recouvert d'un drap blanc ? Non. Est ce que je ressens du plaisir à effrayer les gens ? Non. Suis-je chargé de hanter un lieu lugubre ou une personne trop coupable ? Pas davantage. Pourtant à la question suis-je un fantôme, je réponds oui.

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Ici et maintenant. II faut bien commencer quelque part. Je ne trouve pas de phrases percutantes. Alors je commence comme ça, au hasard. J'essaye de revendiquer un état d'être qui m'est inconnu. Je n'imagine pas ce que peut bien être un fantôme. Je n'imagine rien. Je le suis.

Je marche aujourd'hui dans les rues paisibles d'une petite ville du sud de l'Angleterre. Je ne pense à rien. Je marche, je ne cherche rien et pourtant je trouve car telle est ma vie désormais. Trouver et non plus savoir. Il y a les enfants, une très jeune blondinette sur le pas de sa porte qui croit me voir mais cela doit faire partie d'un jeu qu'elle a inventé car on ne peut plus me voir, personne ne peut me voir, même pas toi. Il y a les chats, eux aussi occupés à des jeux de chasse dans une Bengale atavique que nulle d'autre que moi, et eux, ne pouvons voir. Il y a les autres, des jeunes accrochés à leur portable et qui rient beaucoup trop fort, comme au théâtre, des personnes âgées dans des fauteuils roulant électrique qui déboulent sans aviser, etc ...

Un jour, je suppose que je marcherai dans ces mêmes rues, par une fin d'après midi d'ensoleillée, contrairement à celle ci, je croiserai des enfants, des chats et des vieux et puis je tomberai sur toi.

Car Paul est un fantôme, je suis un fantôme.


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Ce soir, je voudrais ne pas avoir de regrets, ne pas avoir envie de revenir en arrière, de reprendre ma place à cette table où le repas n'est pas encore fini ou du moins pas encore. Je ne voudrais pas être celui qui est tenu de s'accommoder de l'oubli, celui à qui on a raconté des histoires sans queue ni tête alors qu'il était enfant et qui doit maintenant, une fois l'âge adulte venu, les vivre jusqu'au bout. Ne pas être cet acteur qui chercherait du sens là où il n'y en a pas, perdant chaque jour un peu plus sa substance. En tous cas, ne pas revenir en arrière, ni moi ni un autre, ni avec toi ni sans toi ; et pourtant, j'en rêve le jour, les yeux grands ouverts, assis à un arrêt de bus, sans rien d'autre à faire que de garder les yeux baissés et de me mordre les lèvres pour ne pas laisser s'échapper mes larmes de brume.

Rien n'a été aussi simple que ça. Au lieu de me rendre, j'ai préféré nier, les apparences, les évidences et, bien sûr, les conséquences de tout ce qui était en train de m'arriver. J'ai nié notre union, notre contrat, notre infidélité, notre dépit et nos longues absences. J'ai même refusé, dans un premier temps, de fuir, ne serait ce que parce que cela arrangeait bien trop de monde et que je ne me voyais pas leur faire ce cadeau là ... Un choix délibéré, un choix qui m'a libéré, non pas du poids cette fois ci, mais de la légèreté. A vrai dire et pour ne pas te mentir pour rien, j'avoue aujourd'hui aux passants de ce délicieux bus anglais, dans ma langue affreusement sibylline, que ce dont j'aurais eu besoin, plus que de connaissances inébranlables ou de passions inavouables, c'est d'un usage permanent du livre du Yi King, l'art divinatoire indirect, la volonté des cieux par la bande, un écho curieux de la station de radio qu'écoutent parfois les dieux de l'Olympe et d'ailleurs. Je le sais, ce que j'aurais aimé être avec toi, parfois, c'est ça : un "non" qui sourit un "oui", ce même "oui" qui grimace un "peut être", un autre "peut être" qui rêve de se transformer en "je sais". Tout, sans aucun doute, mais pas mon silence néphrétique. Tout, comme par exemple une réponse qui répond à une autre réponse (qui n'en demandait pas tant), etc ...

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Un jour, j'y suis arrivé. Certains convives étaient en retard, je crois, les plats étaient pour la plupart déjà froids, nous nous demandions ingénument ce que nous faisions là. Il n'y avait en fait que ta main posée sur la mienne pour donner un sens à toute cette mascarade. Un jour où l'envie s'était nourrie au sein de mon absence, un jour où mon visage s'était abreuvé d'incohérences, un jour où je n'avais sans doute pas frappé à la porte avant de rentrer, sans savoir non plus qui allait venir m'ouvrir et me retrouver sur le pas de la porte, sous la véranda, la réconciliation ou l'abnégation ou bien l'envie d'en découdre, de tout refaire à l'envers, de retapisser ma mémoire de photos venues du futur.

Ce jour là, si tu préfères, j'ai eu l'occasion de ne pas te mentir, tu sais aussi bien que moi ce qui s'est passé ...

A toutes ces évidences, j'ai préféré répondre à nouveau : "sans défense".
Et à l'envie qui grondait en silence, j'ai définitivement répondu "oui".

Et là dessus, je suis mort.


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