vendredi, juillet 20, 2012

Les enfants damnés


Les enfants damnés

Hier, je suis allé m’asseoir sur les rochers qui surplombent la rivière où nous avions l'habitude de jouer lorsque nous étions enfants. Il n'a pas fallu cinq minutes pour que je commence à me souvenir. C'est le mouvement hésitant de l'eau entre les pierres, le poids des feuilles dans les arbres qui ne demande qu'à être soulagé. Je ne saurais trop dire comment mais ta voix m'est revenue comme le jour où je t'ai vu pour la dernière fois. À l'époque tout était déjà joué, nos chemins presque définitivement tracés. Je ne sais pas où je trouvais le courage de te regarder encore droit dans les yeux mais c'était le cas. Même avec toi, je faisais semblant.

Pourtant ma place n'est pas ici. Toi non plus, tu n'es pas là. Cela fait longtemps déjà que tu ne viendras plus à la rivière ni où que ce soit d'autre d'ailleurs. Si je suis ici, c'est presque par pénitence, dans le plus grand secret, toujours dans le plus grand secret, personne ne doit savoir que je pense encore toi. Ce que le monde a besoin de savoir de moi, c'est que tout va bien et que je vais bientôt sortir un disque qui va faire un malheur. C'est mon tour, frérot. Je commence à comprendre tout ce que tu m'as expliqué sur Ferlinghetti et les autres. Désormais, lorsque j'écris les paroles de mes chansons, je sais que j'ai le bon angle d'attaque lorsque je me dis que ça pourrait te plaire. Je passe des heures à froisser les mots, à déchirer les pages et puis quand je n'y pense plus, ça vient tout seul, en cinq minutes tout au plus. Merci mon frère. Il ne faudra pas trop m'en vouloir mais là j'ai encore besoin de toi car la dernière chanson de l'album, c'est toi et moi, les frères damnés.

«Après toutes ces années passées à prêter l’oreille à tout ce qui se dit sur moi. Cherchant à quel moment on en finirait par te retrouver. Et moi, tentant de rester ouvert à toutes les possibilités.
M'érigeant en véritable vague oscillante au dessus de ce que je voulais vraiment être. Rester aussi amoral qu’une tombe païenne. Vivre à rebours, à double contretemps. Louper volontairement le coche quitte à le retrouver plus tard. Voir qui m’attend à l’angle de la rue. Vivre comme toi mais sans toi».

Il est déjà temps que je m'en aille. Je sais déjà comment je vais m'en sortir, enfin je crois. Un grand éclat de rires fera amplement l'affaire.