Les enfants damnés
Les enfants damnés
Hier, je suis allé m’asseoir sur les
rochers qui surplombent la rivière où nous avions l'habitude de
jouer lorsque nous étions enfants. Il n'a pas fallu cinq minutes
pour que je commence à me souvenir. C'est le mouvement hésitant de
l'eau entre les pierres, le poids des feuilles dans les arbres qui ne
demande qu'à être soulagé. Je ne saurais trop dire comment mais ta
voix m'est revenue comme le jour où je t'ai vu pour la dernière
fois. À l'époque tout
était déjà joué, nos chemins presque définitivement tracés. Je
ne sais pas où je trouvais le courage de te regarder encore droit
dans les yeux mais c'était le cas. Même avec toi, je faisais
semblant.
Pourtant ma place n'est pas ici. Toi
non plus, tu n'es pas là. Cela fait longtemps déjà que tu ne
viendras plus à la rivière ni où que ce soit d'autre d'ailleurs.
Si je suis ici, c'est presque par pénitence, dans le plus grand
secret, toujours dans le plus grand secret, personne ne doit savoir
que je pense encore toi. Ce que le monde a besoin de savoir de moi,
c'est que tout va bien et que je vais bientôt sortir un disque qui
va faire un malheur. C'est mon tour, frérot. Je commence à
comprendre tout ce que tu m'as expliqué sur Ferlinghetti et les
autres. Désormais, lorsque j'écris les paroles de mes chansons, je
sais que j'ai le bon angle d'attaque lorsque je me dis que ça
pourrait te plaire. Je passe des heures à froisser les mots, à
déchirer les pages et puis quand je n'y pense plus, ça vient tout
seul, en cinq minutes tout au plus. Merci mon frère. Il ne faudra
pas trop m'en vouloir mais là j'ai encore besoin de toi car la
dernière chanson de l'album, c'est toi et moi, les frères damnés.
«Après
toutes ces années passées à prêter l’oreille à tout ce qui se
dit sur moi. Cherchant à quel moment on en finirait par te
retrouver. Et moi, tentant de rester ouvert à toutes les
possibilités.
M'érigeant
en véritable vague oscillante au dessus de ce que je voulais
vraiment être. Rester aussi amoral qu’une tombe païenne. Vivre à
rebours, à double contretemps. Louper volontairement le coche quitte
à le retrouver plus tard. Voir qui m’attend à l’angle de
la rue. Vivre comme toi mais sans toi».
Il est déjà temps que je m'en aille.
Je sais déjà comment je vais m'en sortir, enfin je crois. Un grand
éclat de rires fera amplement l'affaire.
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