jeudi, juillet 14, 2011

Dans l’oubli de mon corps

Cela pourrait tout aussi bien être le souvenir d’un corps d’une femme, ou d’une autre. Cela pourrait être l’oubli de ce qui a été, le rappel de ce qui n’aura plus lieu. Au choix. Tout entier dans le souvenir d’une femme non pas par le jeu du hasard mais par ce qui avait été convenu dès la première minute bien que l’on a trop souvent tendance à croire que cela ne nous concerne pas, que cette règle s’applique à d’autre que soi et qu’on sera celle qui, comme par un enchantement à peine concevable, réussira à nous ramener d’où on n’aurait jamais du s’échapper ; une chambre aux milles portes. Une chambre pleine d’un homme absolument vide qui retient encore le souvenir d’un corps et de tout ce qu’il a pu lui suggérer. Mais là aussi, tout ce qu’il arrive à convoquer c’est se souvenir de lui-même, à travers ce visage, la froideur du sourire, de son sourire. L’image se mord la queue, dans l’oubli de son corps, il ne se souvient que de lui-même en train de se souvenir de quelque chose dont il ne se souvient pas.

Pourtant si loin de tout ce qui lui était familier, malgré la couche partagée tant de fois, il ne parvient à se rappeler que de son visage à lui dans le miroir et son corps à elle dans un arrière plan, forcément flou. Et plus il tente de se rappeler de ce corps, plus il se persuade qu’il n’a jamais existé, que ce n’est que sans lui que ce corps peut prendre forme. Et finalement, il rouvre les yeux comme un chat s’étirerait, il laisse le souvenir lui échapper, au plus loin de lui-même et sans autre forme de procès, c’est fini.

d’après Jules Supervielle